"L'Université n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les mémoires ou thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs."
Je remercie toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questions et m’ont accordé de leur temps ;
FB à Ouaga ;
FC à Man ;
MV à Paris;
AK à Ouaga.
I Historique et structures des relations entre Burkina Faso et Côte d’Ivoire
I-1 L’immigration, lien historique entre Burkina Faso et Côte d’Ivoire
I-2 L’émigration phénomène social au Burkina Faso
I-3 Chauds et froids à la tête des États
II L’irruption de la crise ivoirienne
II-1 La crise ivoirienne et les crises ivoiriennes
II-2 Crise ivoirienne et opinion Burkinabè
III Légitimation et captation, les opportunités burkinabè de la crise ivoirienne
III-1 Du consensus à la rupture : manœuvres politiques autour de la crise ivoirienne
III-2 Les enjeux politiques de la crise ivoirienne
III-3 Opération Bayiri et business humanitaire
Rares sont les écrits sur le Burkina qui ne commencent en évoquant son enclavement géographique. Il semble pourtant que son enclavement historique et social dans le destin du voisin ivoirien, soit une donnée au moins aussi importante pour ce pays. Ainsi, dès l’époque coloniale, chaque étape de la vie économique et politique de la Côte d’Ivoire s’est accompagnée de manifestations plus ou moins marquées sur la société burkinabè. A plusieurs reprises, l’autonomie, et l’existence même, de l’entité burkinabè en ont été compromises.
Depuis l’indépendance, les liens mutuels entre les deux pays se sont encore accrus. Ainsi la communauté des Burkinabé de Côte d’Ivoire s’est beaucoup développée ; on les estime aujourd’hui à plus de trois millions, soit environ 20 % de la population totale[1]. Et même si le pays de l’akwaba a eu tôt fait, une fois la prospérité passée, de voir en eux une surcharge encombrante qui coûtait la terrible « conjoncture », ils restent représenter une part importante de la société ivoirienne et de son économie. C’est particulièrement vrai dans le secteur capital du cacao, première ressource d’exportation. Le fait est que la communauté burkinabè est là, occupant une place bien réelle à tous les niveaux dans le pays, et forme une attache indéfectible avec le voisin.
De l’autre côté de la frontière, le poids relatif des Burkinabè établis en Côte d’Ivoire est encore plus important. Ils représentent ici près de 25 % des effectifs, même si une bonne partie d’entre eux, de seconde ou troisième génération, n’a jamais vu son pays d’origine. Rien que par leur absence, ils représentent un enjeu important parce qu’ils ne pèsent pas sur les ressources limitées du pays.
Les travaux sur cette communauté burkinabè de Côte d’Ivoire, sur sa dynamique migratoire, sur son insertion dans la société ivoirienne, ne manquent pas. Pas plus que ne manquent les travaux sur la société ivoirienne elle-même et sur les remous politiques qu’elle traverse depuis près de deux décennies[2].
Mais les deux pays sont aussi de grands partenaires commerciaux. Le Burkina est un client obligé du port d’Abidjan. C’est le seul débouché maritime relié par le train, et l’axe routier vers Ouagadougou reçoit lui aussi beaucoup de fret ; 60 % des importations proviennent ou transitent par la Côte d’Ivoire. De même la majeure partie des exportations maritimes du Burkina[3], et notamment sa production cotonnière[4], passe par les installations portuaires de la capitale économique de son voisin.
Au delà de l’usage du corridor ivoirien, le Burkina est aussi un bon client pour son partenaire. Agroalimentaire, biens de consommation et matériaux, il importe une partie non négligeable de la production industrielle ivoirienne. Dans l’autre sens, la Côte d’Ivoire est un débouché capital pour l’économie burkinabè. C’est, entre autre, le principal client de l’élevage ou de la production textile burkinabè.
Hormis les menaces directes sur l’intégrité des ressortissants burkinabè, cette proximité, cette interdépendance faisait redouter les effets induits sur le Burkina d’un embrasement de la Côte d’Ivoire qui apparaissait inéluctable, compte tenu du faisceau de vulnérabilités pesant sur la société ivoirienne.
Le séisme le plus redouté étant un afflux massif de réfugiés Burkinabé vers leur pays d’origine. Il semble difficile d’envisager l’arrivée de trois millions de bouches supplémentaires à nourrir dans un pays où 46,9% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté[5] et où 37,5 % des ménages n'arrivent pas à subvenir à leurs besoins de base, alimentaires et non alimentaires.
D’autant que la crise ivoirienne, compte tenu de la dépendance économique, ne peut que plonger le Burkina dans un profond embarras. Privé de revenus de transfert, privé de sa principale fenêtre maritime, le coupant à la fois de ses importations et de ses exportations, et privé de son premier client, le Burkina courrait à l’asphyxie.
Autant la crise ivoirienne semblait prévisible, sinon attendue, autant ses conséquences sur la société burkinabè semblaient devoir être inévitables et importantes. Aussi, les scénarios alarmistes se sont multipliés au lendemain de 19 septembre, qui mettaient le Burkina au bord d’un gouffre économique et social imminent.
Et contre toute attente, il s’est avéré au fil du temps que la déstabilisation n’a pas entraîné le choc envisagé.
Le retour des Burkinabè de Côte d’Ivoire, malgré les nombreuses violences dont ils ont été victimes, ne s’est pas mué en exode massif. Les plus menacés, ou ceux qui avaient tout perdu, sont rentrés, mais le phénomène n’a pas pris l’ampleur redoutée ; le Burkina ne s’est pas retrouvé submergé par sa diaspora.
Sur le plan économique, les mois de crise avec la fermeture des frontières ont obligé le Burkina à diversifier ses approvisionnements tant quant au trajet suivi pour les produits d’origine extra-régionale, que pour la provenance des productions régionales. Il s’est avéré que ces relations économiques liées aux échanges de marchandises que l’on disait incontournables se sont rapidement trouvés bien moins pérennes qu’il n’y paraissait[6]. Certes des secteurs ont souffert ; l’industrie burkinabé a perdu à la fois des débouchés, c’est le cas pour le textile qui vendait principalement à la Côte d’Ivoire, mais aussi des approvisionnements en biens intermédiaires. Mais, compte tenu du faible poids relatif du secteur secondaire au Burkina, ce n’est pas non plus une si grande catastrophe. D’ailleurs les prévisions les plus pessimistes envisagent un léger repli de la croissance pour l’année 2003, les plus optimistes, une croissance positive.
Toutefois il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit là de données macroéconomiques, et qu’en l’absence d’étude sur les conséquences du tarissement, ou pour le moins de la réduction, des transferts à destination des familles burkinabè, il est difficile de mesurer l’impact social profond de la crise ivoirienne.
Bien que le Burkina semble avoir échappé en partie aux augures les plus funestes après le déclenchement et la persistance du conflit, il est intéressant d’établir pourquoi et comment la crise ivoirienne est devenue le ressort de plusieurs épiphénomènes dans la société burkinabè.
Pour cela il convient de revenir sur les liens historiques entre les deux pays. L’importance de l’émigration vers la Côte d’Ivoire, comme phénomène social au Burkina, mais aussi les relations à la tête des deux Etats, sont déterminantes dans les événements observés.
Un des épiphénomènes de la crise ivoirienne dans la société burkinabé, se manifeste en rendant d’avantage problématique l’intégration des diaspos. Ces fils d’émigrés contraints de rentrer au Burkina par les difficultés de la vie en Côte d’Ivoire, peinent à s’insérer dans leur nouveau pays ; ils subissent en plus l’hostilité d’une opinion publique échaudée par les événements ivoiriens.
Une autre incidence de la crise, spectaculaire celle-là, est l’intense activité politique qui a relayé la fièvre patriotique des Burkinabé. D’un consensus national à une rupture fracassante, en passant par une instrumentalisation orchestrée, elle préfigure vraisemblablement l’ardeur de la compétition à venir pour le pouvoir.
Enfin la crise est l’occasion d’une grande mise en scène humanitaro médiatique destinée à rapatrier des Burkinabé de Côte d’Ivoire, baptisée opération Bayiri. Mais derrière cette cause inattaquable envoyée à la face du monde, les résultats réels, les pratiques contestables offrent une vision plus nuancée de cette noble entreprise.
Pour asseoir cette argumentation, nous avons eu recourt à plusieurs sources d’information. Pour la partie historique, les écrits ne manquaient pas, mais pour les questions plus proches de l’actualité, nous avons dû nous appuyer sur un travail de terrain à Ouagadougou. Lors de deux séjours, en février et juillet 2003, nous avons pu collecter les données, notamment dans la presse burkinabè, mais surtout mener un certain nombre d’entretiens[7]. Nous avons ainsi interrogé des acteurs directs de ces événements et des observateurs privilégiés de la société burkinabè.
L’émigration des travailleurs de la Haute Volta, puis du Burkina Faso, vers la Côte d’Ivoire est une composante déterminante et ancienne des liens entre les deux pays. Elle s’inscrit dans une processus où se mêlent contexte historique, conditions socio-économiques et motivations personnelles des migrants.
La région de la boucle intérieure du fleuve Niger, très éloignée des côtes, est restée assez tardivement épargnée par les entreprises coloniales qui progressaient plutôt à partir des régions littorales déjà conquises.
Après le Traité de Berlin et l’application du principe de l’hinterland, lequel reconnaît au pays colonisateur d’une bande littorale la possession de l’arrière pays du moment qu’il manifeste sa présence, les trois pays susceptibles de prétendre appliquer ce principe sur le territoire correspondant à l’actuel Burkina Faso, vont se mener une lutte active pour en prendre le contrôle. C’est le cas de la France qui possède la Côte d’Ivoire, même si elle n’en maîtrise pas alors l’arrière pays, et le Dahomey. L’Allemagne, installée au Togo depuis 1884, entend également se prévaloir de la maîtrise de ce territoire. Enfin l’Angleterre qui détient la Gold Coast veut elle aussi conquérir le Mossi[8]. D’expéditions en traités signés avec les souverains locaux, la sévère compétition dure plusieurs années.
Mais ce territoire a pour la France une valeur stratégique et symbolique certaine. C’est en effet la pièce manquante au puzzle édifié par Paris dans l’Afrique sahélienne et de l’Ouest. Sa possession permettrait aux Français de réaliser la continuité de leur territoire africain, qui s’étend dans cette région du Sénégal, au Tchad, en passant par le Soudan occidental (actuel Mali) et le Niger, et redescend vers le Golfe de Guinée avec le Dahomey et la Côte d’Ivoire.
Et ce n’est qu’en 1898 que la France parvient à asseoir tout à fait sa domination sur l’ensemble du territoire, non sans avoir eu recours à la violence pour conquérir le Mossi[9] et à la négociation avec les autres prétendants. Initialement territoire militaire, l’actuel Burkina Faso est intégré à la colonie du Haut-Sénégal-Niger, partie de l’Afrique Occidentale française, quand elle est crée en 1904.
D’abord motivée par un dessein aux colorations de puissance, la constitution de l’empire, la colonie française s’est ensuite investie des réalités du territoire conquis. Le Burkina Faso s’avère ne guère posséder de ressources agricoles, minières ou forestières. Sa seule richesse est sa population, de l’ordre de 3 millions de personnes à cette époque ; ce qui en fait un des territoires les plus peuplés de la colonie.
De fait, depuis leur formation, au milieu du XII ème siècle, jusqu’au XVII ème siècle, les royaumes Mossi sont parvenus, grâce à leur organisation qui force le respect des premiers colonisateurs, à se préserver de la plupart des incursions, et notamment des conquêtes islamiques. Cela pourrait expliquer que la région n’ait pas eu à souffrir de la traite d’esclaves qui dépeuplait l’Afrique à cette époque. Ainsi, contrastant avec les territoires voisins, le Mossi était un ensemble largement pourvu de bras lorsqu’à partir du XVIII ème siècle il finit par céder progressivement à l’avancées des expéditions européennes.
Et le colonisateur a tôt fait de considérer ces terres peu riches, mais à la démographie puissante, comme un réservoir d’hommes. A coup d’impôt de capitation, de travail forcé et d’enrôlement dans les troupes de tirailleurs sénégalais, la France exploite cette ressource. L’effort important pour développer la colonie de Haute Volta, engagé par son premier gouverneur, Edouard Hesling, est grand consommateur de main d’œuvre. Réseau de communication, infrastructures , agriculture, mobilise de gré, mais surtout de force, les populations.
Parallèlement, le recours à la main d’œuvre voltaïque pour des usages extérieurs à la colonie elle même se généralise. Ainsi entre 1920 et 1924, le gouvernement général de l’AOF lève 25 279 manœuvres de Haute Volta pour les travaux du chemin de fer Thiès – Niger, au Sénégal ; 42 930 sont employés à la construction du chemin de fer ivoirien entre 1921 et 1930 et dans cette même décennie 16 541 sont envoyés sur les chantiers forestiers ivoiriens[10].
Très tôt l’idée d’utiliser la force de travail des Voltaïques dans la colonie voisine de Côte d’Ivoire s’impose. Ce territoire bénéficie de généreuses ressources naturelles dans le domaine agricole, mais ses potentialités, notamment dans la cacao culture, sont très plafonnées par le déficit de main d’œuvre locale.
Mais la France doit lutter pour cela contre le départ massif de travailleurs vers la Gold Coast, pour échapper à l’impôt de capitation. En 1919, la colonie de Haute Volta est créée en ce sens. Mais l’objectif affiché d’enrayer cette hémorragie de la main d’œuvre vers la colonie britannique où les rémunérations[11], les conditions de travail, l’imposition et la pression coloniale moindre sont plus attractives, s’avère coûteux et impossible à remplir. Les Voltaïques, malgré les contraintes de l’administration coloniale française, et à cause d’elles[12], continuent de préférer la Gold Coast à la Côte d’Ivoire ; en 1925, les trois quarts de l’émigration des Burkinabè se fait vers cette destination[13]. En 1932 on estimait que 55 000 à 60 000 Mossi fuyaient chaque année vers la Gold Coast[14].
En 1932, au vu de l’échec de la politique de développement menée jusqu’alors, et sous la pression des groupes économiques de la Côte d’Ivoire[15], la Haute Volta est dissoute et répartie entre les colonies françaises adjacentes, Soudan occidental, Niger et surtout Côte d’Ivoire. Ce démantèlement a pour but de faciliter le recrutement de la main d’œuvre burkinabè pour les besoins des plantations ivoiriennes en supprimant les formalités entre les deux colonies et la rivalité qui existait entre les deux gouverneurs. Le ministre des colonies, Albert Sarrault entend « mettre à la disposition de la Côte d’Ivoire, colonie riche et prospère, une main d’œuvre abondante et disciplinée qui seule lui manque pour insuffler une vigueur prometteuse »[16]. C’est ainsi un vaste territoire[17] qui passe sous le contrôle de la colonie du sud, mais surtout une importante population, 2 019 000[18] qui vient renforcer les effectifs d’une Côte d’Ivoire alors moins peuplée avec seulement 1 863 243 habitants[19]. Au grand dam de l’élite dirigeante voltaïque et des autorités traditionnelles, la Haute Volta est intégrée à la Côte d’Ivoire comme Haute Côte d’Ivoire[20]. Dépendants de la même autorité administrative, les Burkinabè ne peuvent plus se soustraire aux besoins de la construction ivoirienne, et la proportion d’émigration en direction de la Gold Coast relevée précédemment, se trouve progressivement inversée[21]. L’enrôlement des travailleurs à destination de la Côte d’Ivoire est forcé. Le gouverneur de Côte d’Ivoire recommande ainsi de recruter d’office « tout individu convaincu d’oisiveté ». Il faut noter que les autorités traditionnelles prêtent un concours zélé à l’enrôlement, dans l’espoir sans doute d’obtenir le rétablissement de la colonie de Haute Volta.
Sous la contrainte, le Burkina est devenu le principal pourvoyeur de main d’œuvre de la Côte d’Ivoire.
En 1946, le travail forcé est abrogé par la loi dite loi Houphouët-Boigny. Un mouvement massif de retour des Burkinabè vers leur région d’origine est observé dans un premier temps. Les autorités enregistrent 3000 retours de Gold Coast par mois et 8000 de Côte d’Ivoire ! Mais les conditions de vie misérables qui attendent les rentrants ont tôt fait d’enrayer la tendance.
Les planteurs ivoiriens effrayés de voir les travailleurs burkinabè refluer en masse vers leur contrée d’origine, créent un Bureau du travail. Les infrastructures nécessaires à la sortie des ressources naturelles abondantes de Côte d’Ivoire, routes et voie ferrée ont toujours besoin de bras ; les plantations qui se développent, plus encore.
En 1947, à l’issue de la seconde guerre mondiale pendant laquelle les Burkinabè ont fait preuve de loyauté envers la France, la Haute Volta est rétablie dans ses limites géographiques initiales. Durant le conflit les « tirailleurs sénégalais » burkinabè se sont particulièrement illustrés[22] et le Mogho Naaba Koom[23] s’est rallié dès le 22 juin 1940 à la France libre.
Pour autant le flot des migrations vers la Côte d’Ivoire n’est pas durablement ralenti par cet événement, pas plus qu’il ne l’a finalement été par l’abolition du travail forcé en 1946.
L’immigration change de forme : de forcée qu’elle était, elle devient organisée.
Les planteurs, réunis au sein du Syndicat agricole africain, établissent des relations avec les autorités traditionnelles voltaïques pour organiser le recrutement de travailleurs. Avec le concours de recruteurs voltaïques, payés à la tête, les employeurs viennent embaucher directement dans les villages. Transports, revenus et statut de métayers sont des arguments alléchants qui motivent facilement le départ. Le salaire minimum est passé à 35-40 francs, les transports sont gratuits à l’aller par le train et demi tarif dans le sens retour, des primes de rendement sont instaurées[24].
Les planteurs européens[25] adoptent la même formule.
Puis, tandis que l’économie ivoirienne s’organise autour de puissants planteurs, et que la faiblesse de l’immigration reste préoccupante, est créé en 1951 une structure dédiée à cette tâche, le SIAMO (syndicat interprofessionnel d’acheminement de la main d’œuvre). Il opèrera sept ans durant et contribuera à l’émigration de 230 000 travailleurs[26].
Les mesures incitatives évoquées plus haut tendent à encourager aussi une migration spontanée. Et peu à peu ce phénomène est amorcé ; les jeunes Mossi quittent en nombre leur village pour aller individuellement proposer leur force de travail en Côte d’Ivoire, soit par l’intermédiaire de compatriotes, soit en contractant directement avec des exploitants ivoiriens. Les habitudes migratoires sont lancées et vont rapidement fonctionner de façon flexible et autonome, en dehors de l’organisation administrative qui prévalait à leurs débuts.
Après l’indépendance en août 1960, tandis que l’émigration est devenue volontaire, que les candidats au départ bénéficient du soutien des Voltaïques déjà établis[27] sur le territoire ivoirien, le mouvement migratoire s’affaiblit un temps. Les espoirs en un avenir meilleur dans leur tout nouveau pays, incitent les Voltaïques à rester chez eux. Mais ce déclin de l’émigration ne dure pas. Dès 1963, les Voltaïques se rendent à l’évidence que le développement de leur pays n’est pas imminent, pas plus que l’amélioration attendue de leurs conditions de vie. Ils reprennent alors massivement le chemin de la Côte d’Ivoire.
La souveraineté nouvellement acquise va inciter les deux pays à formaliser leurs relations pour donner un cadre politique et économique aux migrations. La Côte d’Ivoire souhaite ainsi sécuriser son approvisionnement en main d’œuvre[28], tandis que la Haute Volta veut contrôler la migration, et profiter par ce contrôle de la prospérité générée par le travail de ses ressortissants. Les deux pays vivent alors dans une interdépendance autour de la migration. Dès 1959 d’ailleurs, une ébauche de ces relations particulières avait vue le jour avec le Conseil de l’Entente[29].
Sous l’égide de leur dirigeant respectif, les deux pays vont signer une convention en la matière. La « Convention relative aux conditions d’engagement et d’emploi des travailleurs voltaïques en Côte d’Ivoire[30] [31] » fixe les règles du jeu. Au terme de cet accord, l’Etat voltaïque s’engage à assurer le recrutement et l’embauche des candidats au départ. En contrepartie il obtient notamment que «une somme de 1500 francs par travailleur voltaïque engagé (1000 francs par femme de travailleur engagé) sera versée par le gouvernement ivoirien à celui de Haute Volta pour couvrir les frais de recrutement exposés par le service de main d’œuvre de Haute Volta ». Il est également prévu le versement mensuel de 1000 francs CFA par travailleur émigré sur le sol ivoirien dans les comptes de la caisse d’épargne nationale.
Le maintien de l’impôt de capitation jusqu’au début des années quatre-vingt[32] permet également à l’Etat de récupérer indirectement, par le paiement des familles restées au pays, une partie de cette manne migratoire. Le dit impôt qui constitue une part non négligeable des ressources de l’Etat voltaïque, suppose des ressources monétaires et entraîne des transferts entre les migrants et leur famille.
Côté ivoirien, pour maintenir et développer le flux migratoire, on a assorti la convention d’autres mesures destinées à renforcer l’implantation des migrants. Ainsi l’accès à la terre et à l’emploi public sont facilités, et le président Houphouët-Boigny tentera même, en vain, d’instaurer une double nationalité pour les travailleurs voltaïques installés en Côte d’Ivoire.
Il faut également noter que les liens migratoires avec la Gold Coast devenue Ghana se sont érodés tandis que se développaient ceux avec la Côte d’Ivoire[33]. L’affaiblissement de l’économie et de la monnaie ghanéenne, le Cédi, ont fini par restreindre les mouvements entre les deux pays à des migrations frontalières. D’autant que le Ghana a procédé à plusieurs reprises à des expulsions de masse des étrangers, parmi lesquels étaient de nombreux Voltaïques. A cette même époque, la Côte d’Ivoire a également expulsé massivement des étrangers[34], Béninois en 1958, Nigérians en 1963, Ghanéens en 1985 et 1992 et Maliens en 1998 notamment, mais hormis quelques étudiants renvoyés en 1970, elle se serait toujours gardée de telles mesures envers les ressortissants de Haute Volta[35].
Côté voltaïque, les liens migratoires entre les deux pays vont être remis en cause à deux reprises[36]. Par Sangoulé Lamizana d’abord, qui, parvenu au pouvoir en 1966, va passer avec le Mali en 1969 et le Gabon en 1976[37] des accords équivalents à la convention qui lie la Haute Volta à la Côte d’Ivoire.
Puis au début des années quatre-vingt, le colonel Saye Zerbo, entendant contrôler l’émigration, instaure un visa de sortie du territoire. Il n’autorisait le départ que des travailleurs pouvant justifier d’un contrat d’embauche avec un employeur ivoirien. La mesure se révèle inefficace tant la frontière est perméable, et restreint les ressources de l’Etat.
De cette époque post coloniale date surtout ce qui devait durablement déterminer les liens entre les deux pays, la migration volontaire et massive. Les voltaïques confrontés aux attentes déçues de l’indépendance, aux conditions vraiment difficiles de la vie dans leur pays, prennent d’eux même le chemin de la Côte d’Ivoire. Ils bénéficient pour cela de véritables réseaux de Voltaïques, relais, transporteurs, guides et intermédiaires sur place. L’émigration s’organise vers les zones rurales, où sont quelquefois reconstitués, dans les régions de front pionnier, les villages d’origines ; mais se développe également l’émigration vers les villes et les emplois urbains. Elle bénéficie en cela de l’accueil des ressortissants des pays du Conseil de l’Entente dans la fonction publique, instauré par Houphouët-Boigny.
La migration prend une dimension sociale importante pour nombre de Voltaïques, elle permet à une bonne part de la jeunesse de se réaliser comme elle n’aurait pu l’espérer dans son pays ; elle permet aussi aux familles restées sur place de bénéficier de retombées de la prospérité ivoirienne grâce aux revenus de transfert.
L’émigration des Burkinabè vers la Côte d’Ivoire avait débuté sous la contrainte, à l’époque coloniale. Mais rapidement le phénomène a pris une dimension économique, sociale et même affective suffisante pour se perpétuer sous le seul ressort du volontariat.
Tandis qu’aujourd’hui près de un Burkinabè sur cinq vit en Côte d’Ivoire, l’émigration est devenue un moteur social tant pour les migrants que pour les non-migrants.
Dès les origines, la migration des Burkinabè vers la Côte d’Ivoire s’inscrit dans un cadre de contrainte économique. La présence des émigrés burkinabè sur le sol ivoirien et les revenus qu’ils génèrent ont été et restent déterminants pour l’équilibre économique et social du Burkina.
La colonisation avec sa politique économique et fiscale a introduit dans la population la nécessité d’accès à des ressources financières. Le développement des cultures de rentes engagé par l’autorité coloniale au détriment de la production vivrière a entraîné la monétarisation des moyens de subsistance[38]. La migration et les emplois salariés qu’elle procure est une des seules issues pour satisfaire à ces besoins. Parallèlement le système fiscal institué par le colonisateur, reposant sur l’impôt de capitation qui réclamait à chaque adulte sa contribution en monnaie française, impose le travail rémunéré et la migration vers les régions qui en propose, la Côte d’Ivoire et la Gold Coast[39]. Dans une étude sur la perception de la migration par les migrants et les non migrants burkinabè[40], Coulibaly et al. relevait que pour la plupart d’entre eux la motivation essentielle était « de chercher du travail ou de l’argent parce qu’il n’y en n’a pas en Haute Volta ». Autrement dit, face à la « mercantilisation » des échanges et à l’impôt de capitation, l’autarcie n’est plus de mise.
Par ailleurs sur le plan des ressources naturelles et des conditions de vie, les facteurs propres au Burkina Faso en général et au plateau mossi en particulier vont s’avérer essentiels pour comprendre la migration.
En effet la région est peu propice à l’agriculture ; les terres y sont pauvres et le ruissellement les rend arides. Les migrations agricoles intérieures existaient déjà par le passé. Elles étaient rendues nécessaires par le rapide épuisement des lopins. De plus, au Burkina Faso, l’occupation ancienne des terres et les systèmes de répartition de leur accès par les patrilignages ont beaucoup contribué au morcellement et à l’éparpillement des parcelles.
Le surpeuplement des régions concernées par l’émigration au Burkina Faso, accentue encore les problèmes agricoles. La densité démographique atteint même des seuils peu commun pour des zones rurales avec plus de 70 habitants au kilomètre carré autour de Koudougou. Par comparaison la densité de population dans l’ouest ivoirien à cette même époque est inférieure à 2 habitants au kilomètre carré[41].
Entre pression démographique, pauvreté des sols et morcellement des parcelles, le niveau de vie au Burkina Faso est très bas, sinon misérable. Pour beaucoup de labeur, les agriculteurs burkinabè n’ont pas grand gain et restent dans un grand dénuement ponctué de disettes récurrentes.
C’est la pression imposée par le colonisateur qui a ébauché la migration vers la Côte d’Ivoire. Puis la misère des campagnes au Burkina Faso l’a perpétuée. A chaque fois que les Burkinabè ont entamé un mouvement de replis, comme en 1946 ou qu’ils ont été moins nombreux à partir, comme de 1960 à 1963, la dure réalité du niveau de vie et de développement des campagnes au Burkina Faso s’est imposée[42].
Par ailleurs, pour les familles déshéritées restées au Burkina Faso, les revenus rapatriés par les migrants, qui contribuent notamment à compenser l’insécurité alimentaire, ont une grande importance. Ainsi lors des périodes de soudure, nombreux Burkinabè sont dépendants de l’aide financière fournie par leurs parents travaillant en Côte d’Ivoire. Et hors de ces périodes critiques, le soutien des migrants permet souvent d’accéder à des biens inabordables avec les seuls revenus des agriculteurs burkinabè, comme les bicyclettes, mobylettes, transistors et postes de télévision[43].
Les transferts effectués par les travailleurs burkinabè de Côte d’Ivoire ont crû à mesure que leur effectif augmentait, mais aussi en fonction de la conjoncture économique. Le montant de ces transferts s’élevait à 38 milliards de francs en 1990 selon le ministère de l’Economie et des finances, et 50.2 milliards en 1999. Il faut noter que ces données sont des évaluations vraisemblablement sous estimées étant donné que lesdits transferts empruntent surtout les circuits informels et échappent aux statistiques officielles[44]. Cependant avec les troubles en Côte d’Ivoire, il semble que les migrants aient de plus en plus recourt aux organismes postaux et bancaires pour rapatrier leurs fonds à l’abri de l’insécurité qui les guette sur les routes[45].
En outre, au niveau de l’économie nationale, les fonds transférés par les émigrés burkinabè, destinés à aider leurs parents, contribuent à soutenir la consommation et donc la production et l’investissement. Soutenant la demande globale et donc la production nationale, ils constituent une source importante de croissance[46].
De plus ils participent de l’allégement du déficit des paiements courants du pays, limitant son recours à l’endettement. Enfin ces transferts sont une source de devises non négligeable pour le Burkina Faso.
L’émigration est donc un moteur puissant de l’économie du Burkina Faso, tant au plan familial que national.
L’émigration des travailleurs burkinabè répond à des motivations à la fois économiques et sociales, lesquelles sont assez intimement liées dans le contexte burkinabè. En effet, dans cette société essentiellement dominée par l’agriculture, le secteur primaire reste occuper 92 % de la population[47], les structures traditionnelles de production et les structures sociales traditionnelles sont assez imbriquées.
Chez les Mossi, acteurs majoritaires de la migration vers la Côte d’Ivoire, production agricole et organisation familiale sont placées sous l’autorité d’un chef de patrilignage. Celui ci règne sur la zaka, concession-exploitation et sur tous ceux qui y vivent et y travaillent. C’est le chef de zaka notamment qui détient le pouvoir d’autoriser un cadet, membre de sa zaka, à fonder sa propre zaka. Pour cela, le moment venu, il lui permet l’accès à la terre, lui ouvrant par là même la possibilité de fonder sa propre famille. La prise d’autonomie des cadets, leur accès au statut matrimonial, passe par le bon vouloir des aînés.
Or l’agriculture burkinabè est encore très faiblement outillée et est essentiellement dépendante, quant à sa production, du facteur force de travail. Autrement dit la production des exploitations agricoles dépend directement du nombre de bras qui s’y emploie.
Donc l’intérêt des cadets diverge de celui des aînés. En effet ces derniers préfèrent garder aussi longtemps que possible à disposition pour la production agricole du groupe qu’ils dirigent, la force de travail des cadets, fils ou frères[48].
Ainsi l’accès à la terre et la famille est, en pays Mossi, relativement tardif ; les cadets acquièrent leur autonomie en moyenne autour de 35 ans[49].
Cette emprise centralisatrice des chefs de patrilignage serait déterminante sur la motivation des candidats à l’émigration.
L’organisation sociale et familiale sous l’autorité d’un aîné, sensiblement comparable chez les Bwa, les Birifore et les Lobi[50] à celle en vigueur chez les Mossi, induit apparemment les mêmes effets sur la migration.
La recherche de l’émancipation des cadets passe par le départ, vers d’autres régions du territoire burkinabè à une époque, puis vers la Côte d’Ivoire ensuite. La terre et la liberté de l’exploiter sont plus accessibles en dehors du cercle villageois.
De plus au Burkina, l’autonomie par rapport aux structures familiales que procure un travail salarié est peu envisageable, faute de tels emplois. En Côte d’Ivoire par contre, les plantations proposent des emplois et offrent ainsi facilement cette opportunité d’émancipation.
S’il est quelque fois difficile de distinguer les motivations économiques et les motivations socioculturelles de la migration, la notion de rêve ivoirien des Burkinabè est plus délicate encore à caractériser. Pourtant il apparaît que pour les migrants, le départ en Côte d’Ivoire ouvre l’accès à des possibilités inenvisageables peur eux dans leur pays. Ils parlent quelquefois d’Eldorado ivoirien.
Dans l’importante étude[51] de Coulibaly, Grégory et Piche sur les motivations et la perception de la migration par les migrants et les non migrants burkinabè, cette dimension, liée à un imaginaire de la Côte d’Ivoire, transparaît bien. Ainsi les auteurs font remarquer que si la plupart des personnes interrogées mettent la nécessité matérielle comme principal motif de départ, elles pensent en cela surtout au superflu et non pas à la subsistance. Emigrer est considéré comme la seule possibilité d’acquérir des biens convoités tels que vélo, mobylette, radio, vêtements, articles ménagers et bijoux, inaccessible avec les maigres revenus locaux. La Côte d’Ivoire ouvre l’accès à la consommation au delà de l’alimentaire, dans le plaisir et l’équipement personnel. Et si cela est vérifié pour les migrants, il en va de même pour les proches non-migrants, qui ayant un parent en Côte d’Ivoire, escomptent en tirer un profit matériel. La Côte d’Ivoire et ses richesses fait même rêver ceux qui restent.
La Côte d’Ivoire offre aussi pour les migrants la possibilité d'atteindre des conditions de vie bien meilleures qu’au Burkina. Les services, publics, scolarisation et santé notamment, auxquels ils ont accès même en temps qu’étrangers, sont bien plus performants que ceux de la Haute volta. Le taux de scolarité en Côte d’Ivoire à l’époque d’Houphouët-Boigny est plus qu’honorable. En outre les conditions de travail et de rémunération sont plus avantageuses, à emploi équivalent. Les étrangers ont d’ailleurs accès, pendant longtemps, aux emplois publics ivoiriens.
Tandis que la migration est pour les jeunes agriculteurs le moyen de s’affranchir de leurs aînés, elle est ressenti par les citadins comme l’accès a une société libérale débarrassée du poids écrasant de la famille Mossi[52]. Loin des leurs, les migrants ne sont plus assujettis aux pesanteurs des traditions et des préséances, au moins pour ceux qui vivent hors des communautés burkinabè qui se sont recréées dans les campagnes ivoiriennes. D’autant que la société ivoirienne est très ouverte ; les migrants de l’intérieur comme de l’extérieur y sont si nombreux que pendant longtemps les groupes s’y mélangent sans guère de barrières culturelles ou linguistiques. La Côte d’Ivoire est considérée par les migrants comme une société moderne, comme un espace de liberté.
Symbole de leur intégration en Côte d’Ivoire, les Burkinabè disposent du droit de vote y compris pour les scrutins présidentiels. Le président Houphouët-Boigny tentera même, comme évoqué plus haut, de faire adopter une double nationalité à ces migrants, en 1965 avant d’être contré sur le sujet par un sursaut nationaliste de son parlement.
Pour les paysans, la Côte d’Ivoire offre la possibilité, outre de travailler et de gagner de l’argent, d’acquérir une terre. Une pratique s’est instituée entre les exploitants ivoiriens et les travailleurs burkinabè. Les premiers concèdent une terre aux seconds à l’issue d’une période déterminée de travail dans la plantation des premiers.
Cet arrangement s’explique par l’impérieuse nécessité de main d’œuvre qu’entraîne la pratique extensive des cultures de café et cacao et par la disponibilité de la terre qui semble illimitée alors en Côte d’Ivoire. Ces mesures incitatives pratiquées par les planteurs ivoiriens vont être relayées par la politique officielle. « La terre est à ceux qui la mette en valeur…» proclamait alors le président Houphouët-Boigny, rompant ainsi avec la politique foncière coloniale qui attribuait la terre à l’Etat. Ainsi, les migrants Burkinabè peuvent espérer par la seule force de leur travail devenir rapidement leur propre patron sur leur propre exploitation, ce qui est impensable dans leur pays.
Enfin, grâce à l’aisance financière qu’elle procure, la migration permet aux jeunes Burkinabè d’accéder plus rapidement au statut matrimonial. Ainsi Coulibaly et al note que la migration a un rapport direct avec les aspirations matrimoniales. 97 % des hommes migrants disent ne pas disposer de dot avant de partir. Les rémunérations escomptées en Côte d’Ivoire leur permettront dès lors de changer de statut. Quant aux femmes dont la majorité se disent fiancées au moment du départ, c’est le mariage aussi qui est au bout de la migration.
Mue autant par les réalités économiques que par le rêve ivoirien, la migration burkinabè en Côte d’Ivoire prend progressivement un autre visage. De ponctuelle, constituée d’un ou plusieurs séjours successifs destinés à accumuler un petit pécule, un petit capital susceptible d’aider à l’installation dans la vie au sein du village d’origine, elle va devenir plus longue. Les séjours passent de quelques mois à quelques années puis décennies. Les installations définitives sont très courantes. Deux indicateurs témoignent de cette évolution, l’accès à la propriété de nombreux Burkinabè et la proportion croissante de migrations féminines.
Les relations entre les exécutifs burkinabè et ivoirien ont connu trois époques successives d’importances inégales.
Dans une première période, celle du règne du président Houphouët-Boigny, Abidjan a entretenu une initiative déterminante dans le choix des dirigeants burkinabè. Puis à la disparition du dirigeant historique ivoirien, le président Compaoré a entrepris d’intervenir à son tour pour influer sur le choix des successeurs d’Houphouët. Enfin tout récemment, depuis le début de la crise, il semblerait qu’Abidjan ait décidé de réinvestir la politique burkinabè.
La position d’Houphouët-Boigny, son insertion dans la IV ème République ont naturellement consacré son ascendant sur la sous-région avant et après les indépendances. Son influence était grande sur les dirigeants voisins en général et sur ceux du Burkina en particulier.
On évoque souvent la main mise d’Houphouët sur la carrière des présidents successifs du Burkina. Il convient cependant de nuancer un peu cette idée.
Dès avant l’indépendance, Houphouët a le soutien de Maurice Yaméogo. Leaders du RDA[53] dans leur pays respectifs, les deux hommes étaient proches. Yaméogo qui vient de prendre en main les destinés du gouvernement de Haute Volta, suite à la disparition de son prédécesseur Ouezzin Coulibaly, prouve sa fidélité à Houphouët en rejoignant l’Union Sahel-Bénin, laquelle devient ensuite le Conseil de l’Entente.
Frileux sur les évolutions engendrées par la loi cadre de 1956, Houphouët est peu favorable à la Communauté. Il lui préfère le statut de Territoire d’outre-mer qui était celui de la Côte d’Ivoire depuis 1946, ou mieux encore celui de département. Il n’est pas non plus favorable au projet fédéraliste africain emmené par Senghor. Attaché à la France, il envisage plutôt un fédéralisme franco-africain. Mais son idée fait long feu, Paris n’est pas intéressé, l’investissement serait lourd pour la métropole et supposerait de partager des prérogatives régaliennes. Faisant preuve de pragmatisme face aux événements, Houphouët crée alors l’Union Sahel-Bénin pour résister à la Fédération du Mali, s’attirant les foudres des fédéralistes. Modibo Keita stigmatisa en lui le « diviseur de l’Afrique ».
Trois pays suivent Houphouët dans ce qui devient dès 1959 le Conseil de l’Entente : le Dahomey, le Niger et la Haute Volta de Maurice Yaméogo ; Yaméogo qui prend même la présidence du Conseil de l’Entente de 1960 à 1961.
Les rapports entre les deux hommes sont empreints d’une grande amitié ; amitié dont témoignent unanimement Sangoulé Lamizana[54] son successeur à la tête de l’Etat et Hermann Yaméogo[55], son fils. Ils resteront proches durant toute la présidence de Yaméogo, se recevant en toutes occasions[56], tant pour des rencontres officielles que privées. Houphouët ne se formalise pas des mouvements d’humeur de Yaméogo. En effet ce dernier est très agacé, notamment lorsqu’il est le président en exercice du Conseil de l’Entente, par le leadership indéniable qu’exerce son homologue ivoirien. Très susceptible sur les questions de préséances, il s’accommodait beaucoup moins bien que ses confrères Hubert Maga et Hamani Diori de la gérontocratie coutumière en Afrique.
C’est à ce caractère lunatique qu’Houphouët attribua le camouflet que lui administra Yaméogo en refusant de signer en 1961 l’accord collectif de défense entre la France et les pays membres du Conseil de l’Entente. Malgré cela les deux hommes sont restés très proches et ils étaient ensemble quelques jours seulement avant que Yaméogo soit contraint à la démission par la pression populaire en janvier 1966[57] ; ce qui incite à penser que pour cette fois au moins Houphouët n’était pas impliqué.
Cette théorie est étayée par la nature des relations qu’entretenait Houphouët avec Sangoulé Lamizana, qui remplaça Yaméogo tout en refusant de se faire passer pour son tombeur. Lamizana les qualifie lui même de distantes. Il remarque qu’à ses premières visites au « grand frère », chez qui il se rend rapidement après son accession au pouvoir, il est reçu sur le tarmac par des sous fifres. L’aîné marque sa désapprobation vis à vis de ce qu’il fait sentir comme étant un coup d’Etat militaire. Par la suite leurs rapports se normaliseront sans toute fois ne jamais atteindre la chaleur qui existait du temps de Maurice[58]. D’autant que Ouagadougou s’émancipe de la tutelle ivoirienne, adoptant des positions politiques en contradiction avec celles de son voisin, notamment quant à la guerre civile au Biafra.
Il faut toutefois noter que c’est à l’époque de Lamizana, que le Burkina, souhaitant s’affranchir un peu de sa dépendance en matière d’émigration avec la Côte d’Ivoire, signe des conventions à ce sujet avec le Mali et le Gabon. Puis il instaure un contrôle assez stricte des sorties du territoire, contraignant la Côte d’Ivoire à la négociation et enfin suspend en 1974 la convention de 1960.
Une idée répandue à Abidjan[59] dit qu’Houphouët a successivement remplacé à Ouaga le général par un colonel, puis le colonel par un commandant et enfin le commandant par un capitaine… Mais les éléments manquent pour établir le rôle d’Abidjan dans le renversement du général Lamizana par le commandant Saye Zerbo en 1980.
Peu d’éléments éclairent les rapports entre Zerbo et Houphouët. On retient simplement qu’a l’initiative du nouveau chef d’Etat burkinabè l’émigration vers la Côte d’Ivoire devient en théorie très contrôlée, avec l’instauration d’un visa de sortie pour les travailleurs burkinabè désireux de se rendre chez le voisin côtier[60]. Mais cette mesure, considérée à Abidjan comme un acte de défiance[61], est, compte tenu de la perméabilité des frontières, sans grand impact sur la migration[62].
On ne dispose de guère plus d’éléments sur l’implication éventuelle d’Houphouët dans le renversement de Saye Zerbo qu’on en avait quant à son accession au pouvoir.
Le commandant Jean Baptiste Ouédraogo et son groupe de capitaine serait-il le commandant de l’adage d’Abidjan ?
Toujours est-il qu’on a encore plus de mal à voir la main du « Vieux » dans l’accession aux commandes de Thomas Sankara. Tout sépare les deux hommes ; la génération, la conception de la gérontocratie, les références politiques et économiques. L’hostilité d’Houphouët se concrétise dès octobre 1983 à travers l’opposition de la Côte d’Ivoire à accorder, comme ce devait être le cas, la présidence de la CEAO au Burkina.
Et les incidents se succèdent, qui prouvent la détérioration des rapports entre les deux hommes , attaques verbales de Sankara contre Houphouët[63], tracts dénonçant la corruption de Sankara venus de Côte d’Ivoire[64]. La rupture est consommée lorsque Sankara échappe à un attentat à la bombe dans sa suite lors du sommet du Conseil de l’Entente à Yamoussoukro, en février 1985.
On a souvent parlé d’une somme de 500 millions qu’Houphouët aurait proposée à Sankara pour rentrer dans le rang et mettre de l’eau dans son vin[65]. La rumeur veut qu’il les ait refusés et que Blaise Compaoré vers qui Houphouët s’était alors retourné ait accepté la libéralité. Le fait est que le dialogue étant impossible avec Sankara, Houphouët, tout à son rôle de grand frère, jette son dévolu sur Blaise Compaoré, apparemment plus réceptif au langage sonnant et trébuchant du « Vieux ». Et l’offensive va commencer pour s’attacher la fidélité du numéro deux du régime burkinabè. La carte maîtresse d’Houphouët s’appelle Chantal Terrasson. Connue et populaire en Côte d’Ivoire grâce à une carrière sportive de handballeuse de haut niveau, cette jeune femme au demeurant séduisante, est une proche d’Houphouët, sans toutefois faire partie de sa famille comme cela a déjà été écrit. Elle est la fille du docteur Jean Kourouma Terrasson, une figure de la Côte d’Ivoire. Né à Odienné, il est lui même fils du gouverneur colonial Terrasson de Fougère et de Madoussou Diarrassouba. Il a fait ses études à Dakar et est de la génération des premiers cadres africains de la colonie, comme Houphouët dont il reste proche ; il sera dans plusieurs cabinets du ministère de la Santé[66].
La rencontre entre Blaise Compaoré, dont la réputation de grand amateur de femmes est connue[67], et Chantal Terrasson ne serait pas le fait du hasard. Alors ministre de la Justice, Compaoré est en visite de travail à Abidjan, hébergé à l’hôtel Ivoire. Et Chantal fait opportunément partie de la délégation chargée par le protocole d’accompagner le visiteur[68].
Evidemment la rencontre lorsqu’elle s’ébruite ne plait pas du tout à Sankara. Il a déjà limogé, pour un motif similaire, le chef d’état major Kengele[69]. Le mariage de Blaise et Chantal en 1985, pourrait être, selon plusieurs sources, une des causes de la rupture entre Sankara et Compaoré.
Là effectivement, on peut subodorer que le rôle d’Houphouët ne s’est pas limité à jouer les entremetteurs. Sans qu’aucun témoignage ne puisse formellement l’attester, il aurait pris une part active, financièrement parlant, dans le renversement de Sankara, réaffirmant la main mise d’Abidjan sur l’exécutif burkinabè. De fait Chantal Terrasson devenue Compaoré, reste très proche de la Côte d’Ivoire[70]. Il n’est pas sans piquant, à la lumière des récents événements de 2002-2003, d’apprendre qu’elle aurait un frère colonel dans les FANCI[71].
C’est sur la fin du règne d’Houphouët, que Blaise Compaoré va s’affranchir de sa dépendance vis à vis du « Vieux », en inversant les rapports qui liaient l’exécutif ivoirien à la classe politique burkinabè. Pour cela il se lance, à partir de mars 1989, dans le soutien à Laurent Gbagbo, opposant historique d’Houphouët.
Gbagbo, passant à Ouagadougou en 1982 lors de son départ en exil, avait déjà bénéficié de l’aide d’hommes politiques burkinabè. Là, il est accueilli et hébergé par Philippe Ouédraogo[72], le leader du PAI (Parti africain de l’indépendance), alors clandestin[73] et proche des capitaines. Mais à cette époque les deux hommes ne s’étaient pas rencontrés[74]. Il faut attendre 1990 et le retour d’exil de Gbagbo pour qu’ils aient des rapports directs. Le soutien de Blaise Compaoré au FPI[75] est essentiellement financier. Selon Louis Dakoury-Tabley, numéro deux du FPI jusqu’à 1999, « à l’époque, c’est le régime du Burkina Faso qui a permis pendant près de dix années, au FPI d’exister[76] ». Des rumeurs, démenties par Gbagbo, qui a par ailleurs reconnu dans la presse ivoirienne l’aide matérielle de Compaoré, prétendent qu’il aurait bénéficié d’un passeport diplomatique burkinabè pour voyager à cette époque.
L’amitié souvent évoquée entre les deux hommes, ne semble cependant pas être vérifiée. Louis Dakoury-Tabley qui ne passait pas un mois sans venir au Burkina est devenu un ami personnel de Blaise Compaoré, dont il avait la confiance au point d’être le transporteur des fonds à destination du FPI. Mais Gbagbo semble avoir toujours été plus proche de Yé Bongnessan[77], l’ancien président de l’Assemblée nationale. S’il recevait une généreuse hospitalité de l’Etat à chaque visite, Laurent Gbagbo ne rencontrait pas systématiquement Blaise Compaoré.
On peut se demander si la distance observée par Blaise Compaoré à l’égard de Laurent Gbagbo, qu’il laissait « traiter » par des personnages secondaires de l’Etat, ne trouve pas sa source dans la duplicité de projets ivoiriens du président burkinabè.
En effet tandis qu’il soutient Gbagbo et le FPI, l’exécutif burkinabè développe des relations avec Alassane Ouattara. Paradoxalement on peut dire que c’est l’exécutif burkinabè qui a poussé sans le vouloir Ouattara dans la politique ivoirienne. En 1984, tandis qu’il est vice-gouverneur de la BCEAO[78] sur le contingent burkinabè, Ouattara est dans le collimateur de Sankara qui n’apprécie guère son libéralisme affiché. Ouattara va alors se tourner vers Houphouët qui lui octroie un passeport ivoirien[79] et surtout l’intègre au contingent ivoirien des institutions internationales. Ouattara entre donc sur la scène ivoirienne du fait de Sankara, alors qu’il n’avait quasiment aucun contact avec Abidjan jusque là. Il n’avait apparemment pas beaucoup plus de contact avec le Burkina d’ailleurs.
Né en 1942 à Dimbokro, dans le sud de la Côte d’Ivoire, il ne passe que ses dix premières années dans ce pays. Son père est un chef traditionnel de Kong, localité qui se trouvait en Haute Côte d’Ivoire à la naissance de Ouattara, puis en Côte d’Ivoire à partir de 1947 tandis que la majeure partie de cette colonie devenait la Haute Volta. Ainsi son père l’emmène suivre sa scolarité secondaire à Ouagadougou. Il quitte le Burkina en 1962 pour poursuivre ses études aux Etats Unis où il débute sa carrière professionnelle. Il ne reviendra jamais s’établir dans la région, sinon à Dakar dans le cadre de ses fonctions à la BCEAO. De fait il conserve peu de liens avec le Burkina où il ne vient que très rarement et où on ne lui connaît pas d’ami. Sa famille a toute fois des attaches à Sindou, entre Bobo Dioulasso et la frontière ivoirienne, où sa mère[80] vient chaque année à l’époque du ramadan pour faire des dons de sucre et chercher la bénédiction pour elle et sa famille.
Pour les observateurs, les relations entre Alassane Ouattara et Blaise Compaoré relèvent de l’alliance objective contre un adversaire commun, Henri Konan Bédié. Il semble que le préjudice entre Compaoré et Bédié tienne au concept d’ivoirité, brandi par le successeur d’Houphouët justement pour écarter Ouattara. Il faut souligner que l’opinion publique burkinabè en général et les intellectuels en particulier n’apprécient guère Alassane Ouattara à qui l’on doit les premières dispositions contre les étrangers en Côte d’Ivoire[81]. Toutefois il existe peu d’élément sur les rapports entre Alassane Ouattara et l’exécutif burkinabè. On sait simplement qu’il a bénéficié du soutien de Blaise Compaoré en personne dans sa lutte pour faire valoir sa qualité d’ivoirien. En réponse à une lettre de Ouattara datée du 28 juillet 1999, le président du Faso lui fait savoir qu’il n’est pas Burkinabè et ne peut prétendre l’être. Cependant les visites d’Alassane Ouattara au Burkina restent rares et empreintes de discrétion.
Avec Bédié chef d’Etat, les rapports ont mal commencé. Le premier acte qui devait conditionner la suite des relations entre le Burkina et lui, a lieu dès la disparition d’Houphouët. Le gouvernement burkinabè présente alors, comme c’est l’usage, ses condoléances à la Côte d’Ivoire. Mais au lieu de les adresser à Henri Konan Bédié, successeur constitutionnellement désigné, Ouagadougou les envoie à Alassane Ouattara le premier ministre[82]. Si au Burkina on considère cet impair comme une erreur des services du protocole[83], à Abidjan on voit cela comme une offense, un défi à la souveraineté ivoirienne même[84]. On pense que Ouagadougou exprime par là son soutien à Alassane Ouattara. Bédié n’a pas pardonné à Blaise Compaoré l’affront subi.
Il rompt alors avec le modus vivendi de bon voisinage qui prévalait jusque là entre les deux pays, pour entreprendre des relations plus formelles. Tandis qu’Houphouët disait à ce propos que c’était « des relations tellement naturelles qu’on avait pas besoin d’ambassade »[85], Bédié ouvre une représentation diplomatique à Ouagadougou et relance la commission mixte ivoiro-burkinabè[86]. Avant qu’Henri Konan Bédié ne réactive cette instance en 1994[87], elle ne s’était réunie que deux fois en trente ans.
Si Blaise Compaoré déclarait à la presse ivoirienne en janvier 1998 "Mes relations avec le Président Henri Konan Bédié sont excellentes... Il y a quelque chose comme un penchant naturel pour nos deux pays à travailler ensemble", cette même presse affirmait pendant l’affaire Zongo que Bédié avait donné de fortes sommes d’argent à Halidou Ouédraogo[88], président du MBDHP[89] et du collectif contre l'impunité, pour renverser Compaoré. Cette affaire qui n’a pas été élucidée et qui a donné lieu à des procédures judiciaires à l’encontre de médias incriminés, est surtout révélatrice de la nature des rapports entre les deux chefs d’Etat.
Ainsi c’est avec un certain soulagement qu’on accueille à Ouagadougou le coup du général Gueï[90] du 24 décembre 1999[91]. Mais la période d’observation a rapidement cédé le pas à la suspicion. Le nouvel homme fort à Abidjan adopte les travers d’exclusion qui étaient ceux de son prédécesseur. Et dès le mois de mars 2000, le doute est levé avec la répression violente d’une manifestation du RDR[92].
Cependant il est à noter que l’on évoque plus tard, après l’accession au pouvoir de Laurent Gbagbo, la présence de troupes burkinabè auprès des hommes de Robert Gueï dans les camps d’entraînement de rebelles au Libéria[93], supposant de possibles alliances objectives entre les plus hautes autorités du Burkina et le général.
Les relations entre l’exécutif burkinabè et Laurent Gbagbo devenu président, vont osciller de mauvaises à exécrables. Blaise Compaoré n’apprécie pas l’ingratitude de son protégé qui, avant même d’être aux affaires, brandit l’étendard de l’ivoirité qui était naguère celui de Bédié. Ainsi, le leader du FPI dit considérer comme « choquant » que l’on puisse envisager la candidature de Ouattara aux élections d’octobre 2000.
Parvenu à la magistrature suprême, Gbagbo ne se montre pas plus reconnaissant envers son bienfaiteur d’hier, auquel il ne témoigne pas le moindre signe de complicité, le traitant sur le même pied que n’importe quel autre dirigeant. Et malgré deux rencontres, les deux hommes ne peuvent effacer leurs différends. Ainsi l’annonce par Tripoli selon laquelle les deux hommes qui se sont rencontrés le 4 juillet 2001 en Libye, ont convenu de mettre fin à la période de froid entre leurs deux pays, reste sans suite concrète dans leurs relations.
Le voyage de Laurent Gbagbo à Ouagadougou, le 4 décembre de la même année, n’est guère plus probant. Malgré une déclaration laconique selon laquelle ils ont décidé d’« intensifier les consultations à tous les niveaux en vue de rechercher les solutions à leurs problèmes communs », la rencontre tourne court. Laurent Gbagbo abrège son voyage et, refusant toute nourriture sur le sol burkinabè, offense ses hôtes[94].
Plus récemment, on relève ce qui pourrait être un revirement spectaculaire dans l’ordre des relations entre les exécutifs des deux pays. Tandis que Blaise Compaoré s’ingéniait, depuis la fin du règne d’Houphouët-Boigny, à intervenir dans le paysage politique ivoirien, c’est aujourd’hui l’inverse qui semble se produire. Laurent Gbagbo a ainsi reçu la visite de Hermann Yaméogo qui est présenté comme un challenger crédible de Compaoré. Cette visite était la première étape de la tournée auprès des ennemis de Blaise Compaoré par laquelle l’opposant semble avoir entamé sa campagne pour les présidentielles de 2005.
Il devait en effet se rendre ensuite au Togo, où il ne put être reçu par Eyadéma qui était en déplacement, en Angola où il aurait rencontré des hauts responsables, et en Afrique du Sud, chez des amis[95]. Pour les autorités et la presse burkinabè il était en quête d’adoubement. Outre le soutien politique et diplomatique, on évoque aussi la recherche des moyens matériels nécessaires à ses ambitions. De fait cet épisode signe le début d’une rupture totale entre l’opposant et Blaise Compaoré, sur laquelle nous reviendrons.
M. Yaméogo, au risque d’alimenter les accusations qui le visent, a d’ailleurs pris par la suite des positions sur la situation ivoirienne en forme d’allégeance à Laurent Gbagbo. Il s’est ainsi prononcé dans « l’affaire IB » en réclamant que « la procédure engagée par la justice française contre le sergent-chef Ibrahim Coulibaly soit menée à son terme, sans pressions d'aucune sorte afin que la lumière soit faite sur ce dossier»[96]. Il avait eu quelques jours auparavant des positions également intransigeantes, appelant à des sanctions exemplaires à l’encontre de Charles Taylor et de Mouammar Kadhafi, qui sont à la fois des ennemis de Gbagbo et des alliés de Compaoré[97].
Un lieu commun lors de la récente crise ivoirienne, maints fois écrit et décliné, consiste à dire que lorsque la Côte d’Ivoire éternue, le Burkina s’enrhume. S i l’adage a du vrai, il faut toutefois le nuancer un peu pour distinguer en quoi la situation ivoirienne influe sur celle de son voisin du nord. Car compte tenu des liens précédemment évoqués, le Burkina a vécu tous les soubresauts de la vie politique et économique ivoirienne de ces dernières décennies. Les événements qui ont ponctué cette période ont eu, et continuent d’avoir, une influence déterminante sur la vie et la société burkinabè, a telle enseigne qu’on peut parler, du point de vue burkinabè, non pas de la crise, mais des crises ivoiriennes.
Un des épiphénomènes marquants de la dégradation de la situation dans le pays d’accueil est le mouvement de retour amorcé depuis plusieurs années. Au Burkina ce reflux est notamment caractérisé par l’arrivée de fils d’émigrés nés à l’étranger, les diaspos, et dont l’intégration à la mère patrie ne va pas sans soulever quelques problèmes.
L’ivoirisation, la crise économique, l’instauration de la carte de séjour, la bataille autour du code électoral, la tension foncière, l’ivoirité et plus récemment encore l’après 19 septembre, sont autant de crises ivoiriennes pour les immigrés burkinabè.
Le nationalisme ivoirien et l’hostilité à l’égard des étrangers sont des données rémanentes. En 1932 déjà, l’ADIACI[98], l’association de défense des intérêts des autochtones de Côte d’Ivoire, regroupant des ivoiriens « modernisés » avec l’exploitation cacaoyère[99], avait interpellé les autorités coloniales pour protester conte la place jugée trop importante des Sénégalais et Dahoméens dans les emplois publics. En 1958, dès l’accession de la Côte d’Ivoire à une certaine autonomie juridique, à la faveur de la loi cadre de 1956, les initiatives nationalistes, en forme de véritables pogroms, visèrent les Dahoméens, qui occupaient alors fréquemment des emplois de cadres en Côte d’Ivoire. C’est encore cette xénophobie qui fit échouer le projet de double-nationalité proposée par Houphouët-Boigny aux ressortissants des pays membres du Conseil de l’Entente. Formulée en 1965 lors d’un déplacement officiel à Bobo-Dioulasso, l’idée du Vieux rencontra une fin de non recevoir dès 1966 de la part des parlementaires ivoiriens, pourtant tous membres du PDCI[100]. Houphouët avait tout intérêt à voir aboutir cette proposition, à la fois en tant que premier planteur du pays et donc directement impliqué dans la migration de travail, mais aussi parce qu’il avait misé sur le vote des étrangers pour pérenniser son pouvoir[101]. Et pourtant le président qui régnait alors en maître sur la Côte d’Ivoire, prit garde de ne pas insister pour ne pas éveiller cette susceptibilité chez ses concitoyens. Il dut même lâcher du lest dans ce sens, et, malgré ses intérêts propres, s’engagea sous la pression des intellectuels ivoiriens, et de son propre parti, dans un processus d’ivoirisation des cadres à compter de 1973[102]. Cette opération visait à remplacer dans l’administration et dans les entreprises publiques, les cadres étrangers, tant africains qu’européens, par des diplômés ivoiriens. Sans avoir un impact très significatif sur les Burkinabè, dont la grande majorité travaillaient alors dans l’arboriculture et dans le secteur privé formel ou informel, cette initiative était le signe avant coureur d’une ère de crise pour les étrangers en Côte d’Ivoire, qui fut ponctuée ensuite d’autres pics de difficultés. Cette ivoirisation était en partie motivée par une sévère crise de l’emploi en Côte d’Ivoire, tandis qu’arrivait déjà sur le marché du travail de nombreux jeunes issus des universités depuis l’indépendance. La manière dont fut mise en place et suivie cette mesure atteste de la détermination des autorités. Les entreprises sont tenues de déclarer périodiquement les taux d’ivoirisation de leurs effectifs, par métiers et par niveaux de qualification. L’ivoirisation est fixée dans les plans quinquennaux[103] et contrôlée par un indice statistique spécifique, établi à partir des déclarations que les employeurs sont tenus de faire à la sécurité sociale. Les ministères concernés, et particulièrement le ministère du Travail, suivent et accompagnent le processus en délivrant les permis de travail aux étrangers et en disposant d’incitations financières à l’ivoirisation[104]. Selon Sergio Ricca[105], « grâce à ce système de fixation d’objectifs, de suivi administratif, de stimulant financier et d’application d’indicateurs statistiques, la Côte d’Ivoire peut se targuer d’avoir augmenté le taux de nationalisation de ses emplois ». Les Burkinabè, comme première communauté étrangère de Côte d’Ivoire, sont forcément touchés par ces mesures, même si elles ne concernent que les salariés urbains, à l’exclusion des secteurs agricoles où ils sont le plus présents[106].
Plus que la tension sur le marché du travail, et sa traduction en terme de décisions politiques avec l’ivoirisation des cadres, la crise économique, qui commence à la fin des années soixante-dix, a des effets très concrets sur le Burkina et ses nombreux ressortissants installés en Côte d’Ivoire.
Le miracle ivoirien comme disent certains, le mirage ivoirien comme disent d’autres[107], était presque exclusivement fondé sur l’exportation de matières premières agricoles. Compte tenu du développement des cultures et du prix soutenu des produits, café et cacao surtout, le pays connaissait depuis l’indépendance un taux de croissance élevé, en moyenne de 7,6 % par an dans les deux premières décennies. Tout le système économique et social ivoirien reposait sur cette croissance effrénée des ressources de l’Etat, liée aux revenus d’exportation[108].
La croissance démographique, de 4 % par an pour la même période, inférieure à la croissance économique, permettait même une constante amélioration du niveau de vie dans le pays[109]. Le niveau des revenus était alors comparable à ceux de pays émergents d’Asie tel Taiwan et la Corée[110].
Mais en 1980, les cours des matières premières agricoles sur le marché mondial commencent à fléchir. La Côte d’Ivoire va alors payer sa politique économique basée sur le tout cacao, et l’Etat ivoirien qui était très endetté, se retrouve en cessation de paiement. L’agriculture, qui occupe les deux tiers de la population et qui entretient tout l’appareil d’Etat, est durablement touchée. Le taux de croissance tombe à 0,3 % ; la Côte d’Ivoire rentre dans une période de récession qui perdure encore, caractérisée par une baisse des ressources disponibles et un accroissement de la population[111].
Dans ces conditions on voit aisément que le statut des immigrés burkinabè va se précariser pour plusieurs raisons. D’une part leurs conditions de vie, à l’instar de celles de la majorité de la population de Côte d’Ivoire, vont se dégrader régulièrement. D’autre part, ils vont devenir, compte tenu de la compétition économique accrue, la cible d’un phénomène de rejet. Des voix s’élèvent alors pour dénoncer le poids devenu intolérable des étrangers dans le pays. Les autorités, contrevenant aux conventions et au droit internationaux, opèrent des rafles suivies d’expulsions, dénommées « opérations coup de poing[112] ».
L’effet conjugué de l’ivoirisation des cadres et de la crise économique[113] va aussi pousser de nombreux Burkinabè des villes vers le secteur informel, mais aussi vers des emplois subalternes dans l’agro-industrie.
Malgré des tentatives pour reprendre l’initiative sur son destin économique, la Côte d’Ivoire n’en finit pas de s’enfoncer dans la crise. Houphouët entreprendra ainsi un bras de fer avec le marché du cacao, en bloquant ses exportations en 1987, mais devra se résigner et la Côte d’Ivoire sortira encore affaiblie de cet épisode.
Les différents plans de rigueur et d’ajustement, plusieurs PAS[114], plan Koné, plan Koumoué Koffi[115] début 1990, qui se succèdent ensuite à une cadence effrénée sont autant d’échecs ; ils ne rétablissent pas la situation économique du pays et contribuent tous à une véritable débâcle sociale[116], la Côte d’Ivoire fait désormais partie des pays les moins avancés (PMA).
La nomination en 1990 par Houphouët-Boigny d’Alassane Ouattara au poste de premier ministre est dictée par des impératifs économiques. Issus des institutions de Bretton Woods, il a longtemps dirigé le FMI, ultra libéral, le fonctionnaire international pourrait remettre le pays sur pieds ou au moins offrir les garanties réclamées par les grands argentiers pour continuer d’aider la Côte d’Ivoire. Outre les mesures économiques et financières qu’on attend de lui, le gouvernement de M. Ouattara engage rapidement une politique de population visant à contrôler la démographie par la planification familiale[117] et par la maîtrise de l’immigration. En fait le planning familial demeura, faute de moyens alloués en période d’ajustement structurel, un vœu pieux. Mais le contrôle de l’immigration, et notamment l’instauration de la carte de séjour, qui loin de nécessiter des moyens en générait, se fit. Issiaka Mandé[118] considère d’ailleurs que cette taxe était envisagée, par ses promoteurs, comme un revenu de remplacement devant la défaillance du binôme café-cacao[119]. Prenant le prétexte de l’insécurité, le gouvernement impose le 14 octobre 1991 la carte de séjour à tous les étrangers installés sur son sol, y compris aux ressortissants des pays membres de la CEDEAO, en violation de tous les accords de libre circulation signés dans ce cadre. Cette mesure plus vexatoire[120] qu’efficace, le contrôle des étrangers qui représentent alors 28,6 % de la population[121], n’est pas susceptible de conforter la sécurité, préfigure d’un climat d’exclusion qui va aller croissant. Il se traduit d’ailleurs ensuite par des mesures qui ne cherchent même plus l’alibi sécuritaire. Ainsi l’Assemblée nationale adopte le 8 décembre 1994, en prévision des élections présidentielles, un nouveau code électoral excluant les étrangers[122]. En effet, depuis 1960, les ressortissants des pays membres de la CEDEAO avaient pu prendre part aux scrutins[123], malgré l’article 5 de la constitution qui réserve aux seuls Ivoiriens le droit de vote. Paradoxalement c’est l’ouverture démocratique qui va sonner le glas de ce libéralisme citoyen. C’est l’opposition, et notamment le FPI de Laurent Gbagbo qui suscite cette orientation en s’opposant aux projets d’Henri Konan Bédié qui souhaitait pérenniser dans les textes le traditionnel soutien électoral des Burkinabè de Côte d’Ivoire au PDCI[124]. La levée de boucliers de l’opposition, qui usa du prétexte que la carte de séjour en désignant les non-nationaux comme étrangers avait rendu caduque la notion de citoyenneté des ressortissants de la CEDEAO[125], bloqua le projet. Mais surtout les foudres de l’opposition se déchaînèrent à l’encontre des Burkinabè considérés comme garants de la pérennité du pouvoir du PDCI et stigmatisés comme « bétail électoral »[126].
La voie de l’ivoirité était largement ouverte, mais paradoxalement ce n’est pas le FPI et Laurent Gbagbo, pourtant promoteurs pour des raisons électorales de cette campagne de haine, qui vont s’y engouffrer les premiers. Henri Konan Bédié saisit l’occasion de la révision du code électoral pour écarter son principal adversaire, l’ancien premier ministre Alassane Ouattara qui vient de faire sécession[127] du PDCI pour fonder sa propre formation, le RDR. Ainsi, le nouveau code électoral, outre les qualités d’électeur, définit aussi, au terme de l’article 49, les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême, parmi lesquelles figurent des clauses de nationalité particulièrement restrictives[128].
Dès lors, débute une période de suspicion et de xénophobie ; on cherche les noms à consonance étrangère, on scrute les références généalogiques de chacun.
La crise politique, les provocations et exactions qu’elle suscite à l’égard des Burkinabè, se font sentir sur le mouvement migratoire ; à compter de la fin des années quatre-vingt, le solde migratoire avec le Burkina Faso se stabilise puis s’inverse.
Henri Konan Bédié, qui a compris que son premier adversaire dans ce nouveau paysage politique est Ouattara, va théoriser, avec l’aide d’un groupe d’éminents intellectuels acquis à cette cause, le nationalisme qu’avait développé le FPI au moment des élections de 1990. Qui plus est, cela lui permet aussi de se battre sur le propre terrain du FPI[129]. Mais le nationalisme ivoirien, l’ivoirité, selon Bédié se déclinait autour du groupe dominant dans son entourage et au sein du PDCI, les Akan et plus spécifiquement encore, les Baoulés. Et ce nationalisme centré sur l’ethnie, s’il faisait de l’exclusion des étrangers son fond de commerce, ne parvint pas à rassembler derrière Konan Bédié les Ivoiriens ; loin de faire l’unité, il est plutôt un facteur de division, assimilant de facto les nordistes aux étrangers.
Quant au FPI, tout en s’étant allié au RDR dans un Front républicain contre Bédié, il ne délaisse pas pour autant ses positions nationalistes. S’appuyant sur le terroir de Gbagbo, l’Ouest, le FPI exploite alors les problèmes fonciers fruits de la gestion libérale de la terre instituée par Houphouët et de la crise économique, pour continuer de jouer la préférence nationale. Il revendique d’ailleurs une part de paternité dans la loi sur le domaine rurale adoptée fin décembre 1998[130] et sensée à terme ne permettre qu’aux Ivoiriens de posséder un titre foncier[131].
Pour les Burkinabè installés en Côte d’Ivoire, cette surenchère nationaliste se traduit par un harcèlement quasi systématique des forces de l’ordre et de l’administration, et, en zone rurale, par des tensions accrues, débouchant sur des accrochages sanglants avec les autochtones. La pression dans les campagne est d’autant plus intense que les exploitants agricoles Burkinabè sont nombreux[132], et qu’ils semblent mieux résister à la crise[133] que leurs concurrents autochtones. La compétition est féroce.
A Tabou, dans le sud-ouest du pays, en novembre 1999, le conflit foncier dégénère en affrontements puis en véritable chasse au Burkinabè, et donne lieu au départ précipité de quelques 18 000 Burkinabè vers leur pays d’origine. Pour Alfred Schwartz[134] ce n’est pas la conséquence directe du climat délétère qui caractérise cette période de rivalité ouverte entre Ouattara et Bédié, mais plutôt celle de l’histoire particulière de l’ethnie concernée, les Krou. Toutefois c’est un traumatisme majeur pour les Burkinabè qui redoutaient, de longue date, cette extrémité.
L’espoir de détente, né du coup d’Etat mené par le général Gueï[135] qui, contrairement à Konan Bédié et Gbagbo, ne clame pas sa préférence nationale, est vite déçu. Rapidement, il rallie le camp du nationalisme contre Ouattara, si préjudiciable aux étrangers. Son bref passage à la tête du pays ne se solde pas par le moindre progrès pour les Burkinabè de Côte d’Ivoire. Au contraire, il est l’occasion pour les deux formations qui jouent du nationalisme, le PDCI et le FPI, de redéfinir l’ivoirité, qui ne dit désormais plus son nom, dans un régionalisme plus large, étendu au Sud ivoirien, et correspondant à une nouvelle alliance politique qui se résume à « tout sauf Ouattara ».
Après l’élection à la tête de l’Etat de Laurent Gbagbo, en octobre 2000, la position des étrangers dans le pays se trouve encore précarisée. Les incidents violents se multiplient dès le lendemain de la prise de pouvoir, le plus emblématique étant le massacre de Yopougon, perpétré par des gendarmes sur des étrangers et des nordistes, et qui est resté impuni à l’issue d’une action en justice.
La radicalisation des violences politiques consécutive aux événements du 19 septembre 2002, s’accompagne pour les Burkinabè de Côte d’Ivoire d’une enchaînement tragique d’exactions, à la mesure de la folie de la situation. Dès le 21 septembre, les quartiers populaires d’Abidjan à forte majorité étrangère sont pillés et rasés par les forces de l’ordre, mais aussi par des partisans du camp présidentiel, officiellement pour débusquer les mutins en fuite. Les combats dans les provinces, et notamment dans le Sud, les exactions menées contre les Burkinabè et leurs biens, jettent dans l’exil près de 300 000 d’entre eux[136].
Compte tenu des liens anciens entre les deux pays exposés plus haut, et étant donné que toutes les familles burkinabè comptent un ou plusieurs membres vivant en Côte d’Ivoire, les crises ivoiriennes ont toujours une traduction perceptible sur l’opinion burkinabè et sur le climat social au Burkina. Dès les années soixante des voix se sont élevées pour critiquer les positions des autorités de Ouagadougou dans les rapports jugés inégaux avec la Côte d’Ivoire. Et chaque événement ponctuant l’histoire des relations entre les deux pays ou chaque épreuve subie par les Burkinabè de Côte d’Ivoire, réveille les polémiques. L’embrasement de la Côte d’Ivoire et les exactions répétées à l’encontre des Burkinabè ont joué un véritable rôle de catalyseur de l’opinion, autant chez les migrants que chez les non-migrants.
Dans l’important travail qu’ils consacrent au phénomène migratoire au Burkina, Coulibaly[137] et ses confrères qualifient la migration de « phénomène démographique clé, vu ses répercussions politiques et sociales ». Ils notent alors, en 1977, que « l’opinion voltaïque souhaite certaines actions de la part du gouvernement ». Déjà, les personnes interrogées, migrants et non-migrants au Burkina, se montrent échaudées par les expulsions qui ont eu lieu dans plusieurs pays d’accueil des Burkinabè[138], et souhaitent tous que le gouvernement s’investisse dans la protection de ses ressortissants vivant hors des frontières.
Une autre opinion ressurgit régulièrement dans l’histoire des relations entre le Burkina et la Côte d’Ivoire, dès avant les indépendances ; celle des intellectuels hostiles à la migration. Cette tendance s’est nourrie du rôle peu flatteur de réservoir de main d’œuvre qu’a joué le Burkina du temps de la colonie. Elle s’est trouvée exacerbée par l’intégration de la Haute Volta à la Haute Côte d’Ivoire en 1932, puis par les activités du SIAMO, considéré comme un outil colonialiste. Elle a également stigmatisé les fortunes faciles des marchands de main d’œuvre[139]. Ainsi, selon I. Mandé[140], c’est la pression de la société civile qui incite le gouvernement de Ouagadougou à signer la convention de 1960. Il parle de « l’opposition multiforme forte et des intellectuels militants acquis à l’idée que le retard économique du Burkina Faso repose en partie sur l’émigration de ses ressortissants vers la Côte d’Ivoire ».
La proposition de double nationalité faite par Houphouët-Boigny en 1965, si elle rencontre une résistance dans son pays, est loin de faire l’unanimité côté burkinabè. Les migrants certes en espèrent une simplification des procédures administratives. Mais elle suscite surtout une virulente opposition des intellectuels burkinabè qui estiment qu’il s’agit là rien de moins qu’une aliénation du Burkina à la Côte d’Ivoire. Des notes ministérielles de l’époque[141], peuvent laisser penser que les autorités burkinabè n’auraient pas adhéré au projet, s’il n’avait avorté du fait de l’autre partie, notamment à cause de la résistance d’une portion de la population. Cette pression intérieure[142] va inciter les autorités à infléchir leur position jusque là conciliante vis à vis de la Côte d’Ivoire qui ne respecte pourtant pas les termes de la convention de 1960[143]. Le Burkina se lance alors dans un programme de développement agro-industriel du sud-ouest, basé sur la ressource humaine, espérant offrir une alternative à l’émigration[144]. Parallèlement les autorités burkinabè, toujours sous la pression d’une partie militante de l’opinion, relancent des négociations avec la Côte d’Ivoire autour des conditions de la migration, en 1967, puis à nouveau en 1972. Cette fois elles intègrent dans le projet des dispositifs visant à la défense de leurs ressortissants en Côte d’Ivoire, et notamment l’installation de consulats dans les villes ivoiriennes. En 1975, les négociations reprennent sur de fortes exigences de Ouagadougou[145]. Mais l’arrogance remarquée des négociateurs burkinabè trop sûrs de leur fait, tourne court en raison de la première guerre avec le Mali qui empêche le maintien du contrôle renforcé aux frontières. Au bout du compte le seul résultat est la dénonciation conjointe de la convention de 1960.
Dans les années quatre-vingt, l’hostilité récurrente au phénomène migratoire, se synthétise dans un nationalisme burkinabè, fondé sur des bases économiques. Cette approche s’appuie sur la baisse des transferts des migrants, correspondant aux premières difficultés rencontrées par ces derniers en Côte d’Ivoire, et sur la charge croissante que représente pour le Burkina leur éducation et leur formation. Le « séminaire de sensibilisation aux problèmes de migration », qui a lieu en mars 1980 à Bobo-Dioulasso[146], traduit fidèlement les pensées de ce courant et pourrait avoir inspiré la politique coercitive du gouvernement militaire (CMRPN) arrivé aux commandes à la faveur d’un coup d’Etat en novembre 1980.
Coulibaly notait en 1977 une certaines part d’indécis (30%) parmi les migrants et les non-migrants interrogés sur le rôle du gouvernement en matière de migration ; il attribuait cela à la suprématie de l’autorité « qui doit savoir ce qu’elle doit faire ». Mais il semble qu’aujourd’hui les opinions soient plus tranchées. Pour tous, selon nos recherches, la protection des migrants est une obligation pour le pays d’accueil, mais aussi pour le pays d’origine. Et si les événements récents ont prouvé que le premier était loin de s’acquitter de ses obligations, ils ont aussi fait éclater la désinvolture du second. Ainsi, dès les années quatre-vingt, tandis que les autorités ivoiriennes procédaient à des rafles, des expulsions et autres « opérations coup de poing », Ouagadougou brillait par son silence. Ce qui fait dire à un vieil immigré burkinabè interrogé par I. Mandé à Abidjan : « je n’aurais jamais imaginé cela de la Côte d’Ivoire, ni que le Burkina Faso laisserait faire ». Les migrants burkinabè semblent d’ailleurs avoir une piètre idée de leurs autorités, et surtout de leurs représentants. Dans son roman Le retour au village, Kollin Noaga[147] décrit la déconsidération dont jouissent les diplomates burkinabè auprès des migrants en Côte d’Ivoire. I. Mandé note d’ailleurs que les diplomates burkinabè ont brillé par l’incompétence manifeste dont témoignait la communication faite par la Représentation permanente du Burkina Faso en Côte d’Ivoire à l’occasion du séminaire de mars 1980. Il est à noter à ce propos, que très récemment, les rapatriés de l’opération Bayiri se sont plaints d’avoir été plus rackettés par les transporteurs et les officiels burkinabè escortant leurs convois, que par les autorités ivoiriennes.
Car si depuis quelques années la dimension diaspora burkinabè a été formellement intégrée aux divers plans de développement, il n’en reste pas moins que les Burkinabè de l’extérieur ont l’impression d’être la part ténue de la nation. En effet, ils ne bénéficient d’aucun soutien de la part des autorités face aux brimades et aux exactions dont ils sont couramment victimes. Quand les autorités des autres pays pourvoyeurs de main d’œuvre à la Côte d’Ivoire savent hausser le ton, ce fut régulièrement le cas du Mali, le Burkina reste de marbre.
L’enchaînement de mésaventures touchant les Burkinabè de Côte d’Ivoire, depuis les troubles fonciers précurseurs de Tabou, et dont la presse burkinabè s’est régulièrement fait l’écho, a suscité des sentiments forts dans l’opinion. Et l’incompréhension quant au mutisme et à l’inaction apparente des autorités sont devenus de plus en plus perceptibles dans les médias notamment, tournant au franc mécontentement après le 19 septembre. L’hostilité de la rue, puisque plusieurs grandes manifestations suivent le début de la guerre, va aux autorités et aux partis politiques ivoiriens jugés responsables, mais aussi au gouvernement Burkinabè dont on fustige l’immobilisme.
Plus généralement, les Burkinabè de l’extérieur pâtissent d’une réputation couramment répandue selon laquelle ils sont des opposants en puissance et des « nostalgiques du passé[148] ». Ce qui selon beaucoup, et notamment Me Bénéwendé Sankara[149], président de l’UNIR-MS[150], n’a aucun fondement établi. Toujours est-il que les autorités, sûrement influencées par ces allégations, n’ont jamais octroyé le droit de vote aux Burkinabè résidant hors du territoire. Ce qui est particulièrement mal vécu, étant donné que d’autres pays de la sous région, Sénégal et Mali notamment, organisent des scrutins pour leurs citoyens résidant au Burkina.
Le droit de vote des Burkinabè de l’extérieur est donc le cheval de bataille de ceux qui disent les représenter. C’est notamment le cas de l’association le Tocsin, la plus importante et la plus structurée des associations de Burkinabè de l’extérieur, qui existe officiellement depuis 1997. Son président, Albert Ouédraogo[151] explique : « tout me laisse croire que les politiques ont peur des Burkinabè de l’extérieur, parce que ce serait un électorat imprévisible. Beaucoup de monde, imprévisibles, incontrôlables… ça fait peur aux politiques ».
Structurée comme un parti politique, avec des sections locales dans la plupart des villes et régions du Burkina, des délégués et un bureau central, cette association base son action sur la pédagogie et le lobbying. Elle travaille à promouvoir dans la société et auprès des autorités une meilleure prise en compte des problèmes des Burkinabè de l’extérieur, à l’étranger comme lors de leur retour au Burkina.
Pour le Tocsin, l’accès à un plein statut de citoyen des Burkinabè de l’extérieur, par la participation aux consultations électorales, est la seule réelle garantie d’être défendus par les autorités. Albert Ouédraogo persiste : « si jamais ils avaient le droit de vote, dès qu’on touchait à un cheveu d’un Burkinabè [de l’extérieur], nos responsables seraient les premiers là bas ». Le Tocsin évalue entre 6 et 7 millions[152], le nombre des Burkinabè de l’extérieur.
L’association le Tocsin succède à une amicale étudiante fondée en 1978-79, par des « étudiants dépaysés dans leur propre pays »[153] ; ceux là même que l’on appelle les « diaspos ». Si elle réfute le terme de diaspo, et mène campagne, notamment auprès des diaspos eux mêmes, pour que lui soit préféré « Burkinabè nés à l’extérieur et de retour au Burkina », elle se prévaut de la solidarité des anciens envers les nouveaux venus, ceux qui ont le plus de mal avec la société burkinabè.
Tandis que la situation des Burkinabè de Côte d’Ivoire se précarisait au fil du temps, un mouvement de retour s’est esquissé. D’abord timide, à l’époque du CNR, mais accompagné alors de mesures incitatives[154], il s’est ensuite intensifié au gré de la surenchère nationaliste ivoirienne. L’institut national de la statistique de Côte d’Ivoire notait en 1992 la décroissance continue des flux migratoires en provenance de l’extérieur observée depuis 1978. Dans le même temps, au Burkina, une enquête sur les migrations et l’urbanisation, expliquait le rééquilibrage des flux migratoires internationaux par un mouvement de retour[155].
L’aspect le plus flagrant de ce reflux ne s’observe pas tant dans les campagnes où, selon des travaux non publiés effectués par le professeur Ram Christophe Sawadogo[156] et ses étudiants, concernant les rapatriés de Tabou notamment, l’intégration des nouveaux arrivants semble se faire assez facilement[157].
Il est intéressant de s’attarder sur le cas particulier dans ce retour au pays, des fils d’émigrés nés à l’étranger. Phénomène qu’Issiaka Mandé désigne comme une migration « transgénérationnelle »[158]. En effet l’arrivée massive de jeunes issus de la diaspora dans les établissements d’enseignement secondaires et à l’université de Ouagadougou, qu’on désigne communément sous le nom de diaspos, ne va pas sans soulever quelques problèmes.
Il n’existe à ce jour que très peu de travaux sur le sujet, hormis les communications de Issiaka Mandé et Willy Moussa Bantenga[159]. Aussi cette section s’appuie sur des entretiens menés avec des diaspos, responsables et membres d’association de diaspos, ou étudiants issus de cette communauté et n’ayant pas d’activité associative particulière. Au total, cinq jeunes étudiants et deux diaspos intégrés dans la vie professionnelle ont été interrogés sur le thème : « qu’est ce que c’est qu’être diaspo ? ». S’en dégage un certain nombre d’éléments quant aux caractéristiques de ce groupe, quant à ses problèmes et quant à ses comportements. Ils ne constituent cependant qu’une approche qui, quoique corroborant les travaux de W. M. Bantenga et I. Mandé, nécessitera d’être affinée et complétée par des travaux à la fois plus larges et plus précis. Il faut noter ici que W. M. Bantenga tient pour diaspos, les seuls étudiants d’origine burkinabè de l’université de Ouagadougou[160] arrivés au Burkina après l’obtention du baccalauréat, à l’exclusion des lycéens et collégiens. Or, parmi les diaspos rencontrés, qui se revendiquent comme tels et disent en subir le statut, plusieurs étaient arrivés avant l’obtention de ce diplôme.
Le terme de diaspo, pour l’association le Tocsin qui réfute toutefois l’usage, recouvre une signification bien plus large ; celle des « Burkinabè nés ou ayant évolué hors du Burkina et de retour au Burkina »[161].
Nous considérerons ici, selon ce qu’ont exposé les personnes interrogées, que le groupe des diaspos est composé d’étudiants, mais aussi de lycéens et collégiens nés ou ayant grandi en Côte d’Ivoire.
Les diaspos constituent un groupe important, avec des caractéristiques particulières, et leur retour au Burkina correspond à des causes précises. Ils rencontrent des problèmes d’intégration, liés à des difficultés d’adaptation, mais aussi au rejet dont il font l’objet de la part de la population et des autorités du Burkina. Disqualifiés par les préjugés de la société burkinabè et par l’absence de leur famille, ils tendent à se replier sur eux même, vivant à l’heure ivoirienne tout en s’efforçant de s’insérer au Burkina.
Si on connaît mal le nombre des diaspos, les témoignages recueillis permettent d’éclairer leurs motivations et leur profil général. Ils sont plutôt des urbains, régulièrement scolarisés, et, dans leur grande majorité, des hommes. Ils viennent pour poursuivre des études impossibles à mener en Côte d’Ivoire, et ont fait le pari difficile de s’intégrer au Burkina, malgré leur attachement au mode de vie ivoirien.
Pour juger de l’ampleur du phénomène diaspos, on ne dispose quasiment que de l’évaluation numérique faite par Willy Moussa Bantenga pour les besoins de la communication citée plus haut. S’appuyant sur les listes des services académiques, il établit qu’une inscription sur cinq[162] à l’université de Ouagadougou pour les années 1995-96, 1996-97, 1997-98 et 1998-99, est le fait d’étudiants burkinabè nés en Côte d’Ivoire. Le Tocsin, l’association de diaspos la plus importante au niveau national, avance sensiblement les mêmes chiffres, mais en prenant compte l’ensemble des Burkinabè de l’extérieur[163].
D’autres associations de diaspos (elles fleurissent sur le campus) telles que l’association « Jeunesse Plus »,
revendiquent des effectifs plus impressionnants encore, estimant qu’au moins 50 % des étudiants de l’université de Ouagadougou sont des Burkinabè de l’extérieur.
Plus pragmatique, Mahamadou Zongo[164] du département de sociologie annonce une initiative prochaine, dès la rentrée d’octobre 2003, de ce même département, pour recenser les diaspos à partir des fichiers d’inscriptions de certaines UFR.
Toujours est-il que les associations estiment que 500 à1000 bacheliers arrivent chaque année de Côte d’Ivoire, ce qui, rapporté à l’effectif de l’université de Ouagadougou, serait effectivement considérable[165].
Cette affluence s’explique, selon les diaspos interrogés, par l’instauration à l’université d’Abidjan de frais d’inscription prohibitifs pour les étudiants étrangers, visant en premier lieu les bacheliers d’origine burkinabè[166]. Ces derniers doivent désormais s’acquitter, pour étudier dans la capitale économique ivoirienne, d’un tribut exorbitant de 350 000 francs CFA[167]. W. M. Bantenga précise quant à lui, que ce mouvement de retour s’explique par les difficultés que rencontrent les jeunes de la diaspora pour se faire naturaliser ivoirien. Appliqué à la lettre, le code ivoirien de la nationalité, qui dispose dans son article 6 qu’ « est ivoirien tout individu né en Côte d’Ivoire, sauf si ses deux parents sont étrangers », exclut de facto une bonne part des enfants de Burkinabè de Côte d’Ivoire, les assujettissant aux frais d’inscription pour étrangers, les privant d’accès aux bourses et les contraignant à retourner dans le pays d’origine de leurs parents s’ils veulent occuper un jour un emploi qualifié. L’université de Ouagadougou constitue donc, depuis son ouverture en 1974[168], la seule issue pour les jeunes Burkinabè de Côte d’Ivoire qui souhaitent poursuivre des études supérieures[169].
Les difficultés matérielles pour étudier en Côte d’Ivoire ne sont pas, selon les diaspos interrogés, l’unique cause de leur retour. Avançant que leurs parents ont toujours gardé à l’esprit l’idée qu’ils n’étaient pas chez eux en Côte d’Ivoire, et qu’ils devraient sûrement finir par partir, plusieurs d’entre eux soulignent également que ceux-ci n’ont jamais voulu prendre la nationalité ivoirienne, même si cette réserve les privait d’avantages professionnels.
Les propos de Paul Nakoulma[170], un jeune diaspo, illustrent parfaitement cette idée : « mes parents voulaient que je sois un vrai Burkinabè, ils craignaient que j’allais être un Ivoirien, ils préféraient que je vienne ici pour être vraiment un Burkinabè ». « Les parents nous rappelaient toujours qu’on était Burkinabè » dit aussi Karim Lankoandé.
Suivant ce précepte à la lettre, nombreux sont ceux qui ont, comme leurs parents, renoncé à prendre la nationalité ivoirienne. A titre d’exemple, Jean Ephrem Ouédraogo[171], explique qu’il aurait fallu qu’il devienne Ivoirien après le BEPC afin d’intégrer un lycée scientifique, mais qu’il s’y est refusé, par fierté. Une expression revient d’ailleurs dans plusieurs entretiens « Dieu merci, il n’a pas changé de nationalité ».
Les parents considèrent le retour, susceptible d’inculquer à leurs enfants les traditions et valeurs de la société burkinabè, comme initiatique et formateur. Un jeune diaspo explique ainsi, « en fait pour les parents, la première ambition quand on t’envoie au Burkina, c’est de te former ; c’est comme un purgatoire, là tu verras ce que c’est que la vie ». Au delà de la volonté de transmettre une culture identitaire, les aînés estiment également, qu’ayant fait leurs preuves en partant à l’aventure en Côte d’Ivoire, leurs enfants doivent faire les leurs en revenant au Burkina.
De plus, compte tenu des incertitudes ivoiriennes, le retour au pays est, pour les Burkinabè de l’extérieur, une garantie pour l’avenir ; un avenir plus dur, dans une société burkinabè empreinte de pesantes traditions, mais un avenir plus sûr.
De cette quête d’avenir à travers les études, découle le profil général des diaspos. Ainsi, alors même que la majorité des Burkinabè établis en Côte d’Ivoire vivent en zone rurale (63,22%[172]), les diaspos sont issus de la population urbaine. La scolarisation ayant fortement régressé dans les campagnes ivoiriennes[173], les jeunes Burkinabè qui sont contraints au retour pour étudier, viennent pour la plupart des centres urbains.
Les diaspos interrogés estiment que la faible représentation des ruraux parmi eux, tient au fait que les agriculteurs burkinabè de Côte d’Ivoire ne renvoient guère leurs enfants au pays, préférant garder cette force de travail auprès d’eux[174].
Outre qu’ils sont majoritairement des urbains, les diaspos sont aussi très majoritairement des hommes. Tous les interlocuteurs sont d’accord sur ce point, il y a beaucoup moins de filles que de garçons parmi eux[175]. Cela tiendrait à l’attention particulière que portent les parents aux études des garçons, mais aussi au fait qu’ils préfèrent garder leurs filles sous leur autorité. Jean Ephrem Ouédraogo l'explique ainsi : « avec les filles on craint toujours qu’elles aillent piquer une grossesse ; avec le garçon on se dit tout ce qui peut lui arriver c’est la mort, après ça il n’y a rien d’autre ! ». Selon ce raisonnement, il y a peu de chances pour que les filles de Burkinabè de Côte d’Ivoire puissent suivre des études.
Malgré leur volonté manifeste de s’intégrer, tous disent ne pas envisager repartir s’installer en Côte d’Ivoire, ces jeunes gardent un très fort attachement au pays qui les a vu grandir. Paradoxalement, et nonobstant les difficultés rencontrées en Côte d’Ivoire depuis quelques années, ils conservent une image idyllique de ce pays. La Côte d’Ivoire est décrite comme cosmopolite, moderne dans le style de vie, exempte des pesanteurs familiales, prospère même encore aujourd’hui. De cet attachement ils conservent et cultivent dans une sorte de nostalgie, leur style ivoirien. Coiffure, habillement, liberté de ton, goûts musicaux et même préoccupations politiques, les diaspos vivent souvent au Burkina à l’heure ivoirienne.
Contrairement à leurs attentes, les diaspos ne trouvent pas naturellement leur place dans le pays de leur aïeux. Ainsi rencontrent-ils nombre d’obstacles inattendus sur le chemin de l’intégration, certains liés à leur capacité d’adaptation, d’autres tenant à l’accueil mitigé qui les attend au Burkina.
Les diaspos récemment arrivés, parlent de l’image idéalisée qu’ils se faisaient du Burkina. Le retour au Burkina leur apparaissait comme le bout du tunnel, tandis qu’ils enduraient, disent-ils, des vexations régulières dans le cadre scolaire, associatif ou dans la vie quotidienne en Côte d’Ivoire, dont la plus pesante était de devoir acheter la carte de séjour. « Et quand bien même on arrivait à se fondre souvent dans la masse des Ivoiriens, on nous rappelait toujours qu’on était Burkinabè » explique par exemple Karim Lankoandé.
Tous connaissaient déjà leur pays d’origine, pour y avoir effectué des séjours dans la famille durant des congés, mais tous on rencontré des difficultés pour s’adapter à la réalité quotidienne du Burkina.
Le premier écueil pour les diaspos en arrivant dans le pays de leurs parents, est la barrière de la langue. En Côte d’Ivoire, expliquent-ils, même chez les Burkinabè, on ne parle pas moré, du moins en ville[176]. Compte tenu du brassage ethnique, la langue la plus usitée est le français, suivie ensuite du Dioulla. Les diaspos considèrent ainsi que plus de 90 % d’entre eux ignorent le moré. Ce qui est un handicap dans la vie sociale au Burkina en général et à Ouagadougou en particulier. Ils vivent cela comme un instrument d’exclusion sociale, tant au sein de leur famille d’accueil que dans le milieu scolaire ou universitaire.
Le deuxième obstacle, et qui d’après les témoignages n’est pas des moindres, est le changement des habitudes alimentaires. Ainsi la base de la nourriture au Burkina est le tô[177], consommé matin, midi et soir, à longueur d’année. Tous les diaspos interrogés insistent sur l’immense difficulté à se conformer à ce régime monotone lorsqu’on à connu la diversité des mets ivoiriens[178]. L’embarras et la lassitude devant ce quotidien culinaire source de déprime, n’est pas sans créer quelque frictions dans leur foyer d’accueil, les excluant un peu plus de la vie de la famille.
D’autant que les diaspos doivent aussi affronter une certaine hostilité de la part des Burkinabè. Les Burkinabè de Côte d’Ivoire, naguère « oncle d’Amérique », étaient les bienvenus. « Il y a dix ou quinze ans de cela », explique M. D un diaspo déjà établi, « ceux qui venaient de la Côte d’Ivoire étaient beaucoup aimés par les gens, avec leur accent, ils séduisaient beaucoup les jeunes filles, c’était plaisant de les avoir comme amis ».
Mais, affaiblis par la crise économique ivoirienne, ils sont aujourd’hui bien moins considérés. Albert Ouédraogo, de l’association le Tocsin, parle de l’ingratitude de ses concitoyens à la mémoire courte, qui ont tôt fait d’oublier la sollicitude dont faisaient preuve leurs frères expatriés lorsqu’ils en avaient les moyens.
A cette ingratitude vient s’ajouter une grande méfiance de la population burkinabè à l’égard des diaspos. L’ostracisme est avant tout le fait des adultes. « C’est surtout au niveau des parents que le problème se pose » explique Paul Nakoulma. Tous les diaspos soulignent que les parents, mais aussi les enseignants, redoutent la mauvaise influence qu’ils pourraient avoir sur leurs enfants. Les diaspos sont en effet supposés avoir une vie dissolue, liée à la fois aux mœurs ivoiriennes réputées légères[179], mais aussi à l’absence de l’autorité de leurs parents restés en Côte d’Ivoire.
« On ne veut pas que ses enfants aient pour compagnons ceux là qui n’ont pas froid au yeux, ceux là qui disent ce qu’ils pensent » explique un diaspo.
Ces manières viendraient en opposition de l’éducation basée sur la soumission aux aînés et aux traditions, telle qu’on la pratique au Burkina.
Et cet ostracisme n’est pas le seul fait des parents ; les autorités elles aussi se montrent méfiantes, sinon franchement hostiles, à l’égard de ces jeunes facilement revendicatifs. Les diaspos sont ainsi désignés comme agitateurs, depuis toujours, au moindre mouvement estudiantin. Par exemple, lors des grèves qui ont conduit à l’invalidation de l’année universitaire 1999-2000 à l’université de Ouagadougou, Simon Compaoré, le maire de la ville, avait stigmatisé le rôle des diaspos comme meneurs des troubles. Pourtant, souligne W. M. Bantenga à ce propos, les troubles dans le monde étudiant burkinabè ne sont pas de leur seul fait. Ainsi, les Burkinabè se sont fait remarquer dans nombre d’universités de la sous région. Dans les années soixante-dix ils avaient été massivement expulsés de Côte d’Ivoire suite à des troubles[180] ; au début des années quatre-vingt, ce fut le même cas de figure au Togo[181]. Les étudiants burkinabè ont régulièrement eu maille à partir avec les autorités de leur pays en raison de leur activisme. Un tel héritage historique[182] rend peu crédible l’idée selon laquelle les diaspos sont seuls meneurs de l’agitation estudiantine quasi permanente sur le campus de Ouagadougou.
Cette absence de l’autorité parentale, qui les rend suspects aux yeux de la société burkinabè et des autorités, est aussi un lourd handicap quant à leurs chances d’intégration professionnelle. En effet, trouver un emploi sans l’indispensable sésame qu’est le réseau familial relève, selon les diaspos interrogés, du défi. Car il faut de solides appuis pour obtenir un emploi, et en l’absence des parents et de leur réseau d’amis et d’alliés, c’est une gageure des plus difficiles. Les diaspos insistent sur le fait qu’outre qu’elle les prive d’appuis utiles, l’absence de leurs parents leur interdit quasi définitivement, l’accès aux emplois du secteur privé. Aucun employeur ne fait confiance à des jeunes gens dont la famille n’est pas là pour garantir la probité. Selon eux, ils sont donc limités à postuler sur le marché de l’emploi public. Ils pourraient devenir tôt ou tard, par la force des choses, majoritaires dans la fonction publique[183]. Ainsi, par le jeu des concours administratifs[184], ils pourraient acquérir à terme une force décisionnelle non négligeable.
Confrontés au manque d’ouverture dont la société burkinabè fait preuve à leur égard, les diaspos restent un groupe à part, et semblent devoir mener une vie en marge, tant au quotidien que dans les perspectives d’avenir.
Mais l’hostilité ne vient plus seulement des adultes, des autorités ou des opérateurs économiques frileux ; les jeunes qui naguère appréciaient la mode et la compagnie dépaysante des diaspos, les évitent maintenant. Selon les diaspos, les Tengas[185] ont changé. L’évolution coïnciderait à la montée des tensions avec la Côte d’Ivoire. Dès lors Ils n’ont plus été vus par leurs camarades du Burkina comme des jeunes dégourdis et à la mode, mais comme des réfugiés, ce qui est moins flatteur. Et certains d’expliquer que les Tengas, avec une mauvaise foi affichée, leur reproche en tant qu’ « Ivoiriens », les exactions faites au Burkinabè en Côte d’Ivoire. Ce qui fait dire à Karim Lankoandé : « nous sommes devenus les Ivoiriens du Burkina après avoir été les Burkinabè de la Côte d’Ivoire ».
W. M. Bantenga remarque effectivement, grâce à une enquête de terrain sur le sujet, que les rapports entre étudiants natifs du Burkina et diaspos ne sont pas toujours sereins. Il observe que le regard que les uns portent sur les autres indique que les deux groupes ont des habitudes et des comportements différents, et que c’est souvent là une source de frictions entre eux.
En réaction à ces phénomènes d’exclusion tous azimuts, les diaspos tendent plus encore à cultiver et à afficher leur différence. Ils optent ainsi fréquemment pour un replis sur leur communauté[186]. Replis qui est souvent interprété comme une forte solidarité au sein du groupe[187], comme le remarque M.W. Bantenga quand il sonde les sentiments des tengas à l’égard des diaspos et réciproquement.
A l’université nombre de diaspos ne parlent qu’à d’autres diaspos. Et si certains restent côtoyer les Tengas, notamment parce qu’ils vivent dans leur famille d’accueil, il semble qu’un certain nombre se soient totalement repliés entre Burkinabè de l’extérieur. Organisés en collocations de diaspos dans le quartier de Zogona, où se trouve l’université de Ouagadougou, ils ont renoncé au moindre contact avec les Tengas. Issiaka Mandé[188] évoque quant à lui le désarroi de ces migrants transgénérationnels.
Dans ce même esprit de repli, on doit noter le foisonnement d’associations de ressortissants de telle ou telle localité de Côte d’Ivoire sur le campus de l’université de Ouagadougou. Elles regroupent exclusivement des diaspos[189], qui reconstituent de cette manière leur cadre familier, produisant en fait, le phénomène inverse de celui des villages burkinabè transposés en Côte d’Ivoire à l’époque des migrations massives. Ces associations, déplorent certains, sont plus des modèles d’enfermement que d’ouverture sur la société burkinabè. Mais ce type d’association ne semble pas avoir de vocation revendicatrice ; ce sont plutôt des amicales.
Toutefois, les diaspos intégrés soulignent qu’on ne reste pas éternellement dans la peau d’un diaspo. Ainsi, explique M. D, « quand on a franchi les étapes de l’intégration professionnelle, familiale, on finit par se fondre dans le moule, par oublier, mais c’est long ». Et de reconnaître que ce doit être encore beaucoup plus long et difficile pour les nouveaux venus compte tenu de la conjoncture économique et du climat social. Albert Ouédraogo abonde dans son sens, en expliquant que les deux ministres du gouvernement qui sont d’anciens diaspos[190], n’ont ni action, ni attention spécifiques en direction de ce groupe. D’autres associations citées plus haut, Jeunesse plus[191] et le Tocsin surtout, sont plus orientées vers l’intégration.
Les événements consécutifs au 19 septembre 2002, outre qu’ils font des diaspos les boucs émissaires de la violence en Côte d’Ivoire, tendent également à précariser leur situation matérielle. Les mandats de la famille, qui faisaient vivre nombre d’entre eux, se sont taris. Seule la solidarité du groupe, encore une fois vérifiée, leur permet de limiter les effets de cette paupérisation soudaine.
Petit à petit, mais dès leurs premiers symptômes, les crises ivoiriennes ont commencé à transparaître dans la société burkinabè. La déstabilisation consécutive au 19 septembre 2002, s’est manifestée, à la mesure de son ampleur, de façon spectaculaire au Burkina.
Malgré les apparences, qui désignent le Burkina comme partie prenante du conflit ivoirien, et usant de pathos sur le thème du sort dramatique des ressortissants burkinabè de Côte d’Ivoire[192], il se joue à Ouagadougou un étonnant ballet dans lequel, les autorités, l’opposition, mais aussi des acteurs assez divers de la société, vont tenter de tirer profit des événements.
Il est important de préciser que ces épisodes de la vie politique du Burkina sont très récents et n’ont donc fait l’objet d’aucuns travaux à ce jour. Cette section s’appuie donc sur la presse burkinabè, mais aussi sur un certain nombre d’entretiens avec des acteurs de ces événements, journalistes, hommes politiques ou militants.
La mobilisation de l’opinion, qui est en attente de signaux venus des responsables politiques, offre une opportunité de prendre l’initiative qui semble échapper, dans un premier temps, aux protagonistes. Malgré le trépignement nationaliste que suscite le récit des premières exactions contre les Burkinabè, dès le 21 septembre, l’apathie reste la règle. Les positions sont modérées et consensuelles ; les autorités sont occupées à nier leur implication, qui serait d’autant plus difficile à assumer qu’elle mettrait en péril les millions de Burkinabè de Côte d’Ivoire. L’opposition quant à elle, ne dispose que d’un angle étroit pour atteindre les autorités sans froisser l’opinion dont le nationalisme est exacerbé par les événements.
Seule l’éventualité d’un retour massif de réfugiés mobilise les autorités autour des bailleurs de fonds dans l’opération Bayiri.
Certains toutefois, dans la société civile notamment, pressentent rapidement que l’époque leur est favorable ; l’occasion de concrétiser des ambitions politiques restées inassouvies ou de gravir des échelons dans la hiérarchie clientéliste en sachant se rendre utile au bon moment, en chatouille plus d’un.
Par la suite, les acteurs saisissent l’intérêt de l’opportunité offerte par cette situation inédite, tandis que se profilent les échéances présidentielles de 2005. Dans l’opposition la bataille de leadership, entre leaders de partis politiques et d’organisation de la société civile se trouve un nouveau front. Quant aux autorités, elles voient là l’occasion de prendre une initiative publique qui leur faisait défaut depuis longtemps. Mais aussi elles trouvent dans ce contexte d’exception une occasion inespérée de conquérir une certaine légitimité, en utilisant la fièvre nationaliste qui commence à s’exprimer contre l’opposition. Une fois la brèche ouverte, les tenants du pouvoir à Ouagadougou vont exploiter autant que faire ce peu la dynamique de la situation pour recomposer le paysage politique burkinabè à leur avantage.
On peut observer plusieurs étapes successives dans le positionnement politique autour de la crise ivoirienne consécutive aux événements du 19 septembre 2002.
« En ses temps où nos compatriotes vivent des moments douloureux »[193], il est difficile au Burkina de s’illustrer dans une position originale sur la crise ivoirienne, comme sur tout autre sujet d’ailleurs. De fait, tandis que les échos de l’embrasement ivoirien font grimper une fièvre patriotique au Burkina, s’instaure un consensus raisonné des forces politiques du pays. C’est l’union sacrée derrière le chef, à laquelle appelle le gouvernement, compte tenu de la gravité de la situation.
Et tandis que l’opinion publique piaffe, avide d’action, de déclaration, d’éclat, les autorités fidèles à leur habitude font preuve d’une modération empreinte de discrétion. La position officielle consiste à déplorer les événements et à en rejeter la responsabilité sur les autorités et les politiciens ivoiriens. Comme à l’accoutumé, se rangent derrières elles les organisations vassales, partis de la mouvance, de l’opposition conciliante, société civile acquise (Tocsin, Ligue pour la défense de la justice et de la liberté de Oussemane Nakro). Les plus zélés, comme Albert Ouédraogo[194], se fendant de déclarations lapidaires axées sur l’entière culpabilité ivoirienne. Ainsi, pour ce dernier l’ivoirité, qu’il qualifie de « concept nationaliste et xénophobe tout à fait similaire au nazisme par ses effets et ses pratiques[195] », est à l’origine du conflit et de ses dramatiques conséquences pour ses compatriotes.
« Au départ, explique Liermé Somé, le directeur de publication de L’Indépendant[196], personne ne voulait se déclarer sur cette crise. Que ce soit l’opposition ou le gouvernement, la préoccupation était de nier l’implication du Burkina. Pour ceux qui ne savaient pas qu’on était véritablement impliqués, pour eux c’était plutôt de préserver la vie de nos compatriotes là bas. Donc au départ tout le monde a joué la prudence, que ce soit l’opposition ou le pouvoir ». Et effectivement, tout le pays semble suspendu à la ligne émise par le régime, et il n’est pas un titre de la presse pour se démarquer du consensus.
En fait l’opposition reste longtemps confinée dans un rôle secondaire, tandis que l’union sacré semble devoir profiter au blason de Blaise Compaoré ; sans avoir rien à faire, ce dernier bénéficie d’une popularité, d’une paix sociale et politique inespérée.
Le camp présidentiel entreprend alors de tirer parti de cet état de fait, de capitaliser la ferveur patriotique à son profit.
« Blaise a su s’habiller de l’habit que la population voulait lui voir porter »[197].
Par touches successives, se met en place un véritable arsenal destiné à flatter le peuple dans le sens du nationalisme.
Pour certains, c’est la révélation par La Lettre du continent[198], de l’existence d’une note secrète de Christian Duteil de la Rochère, observateur français aux négociations inter ivoiriennes de Lomé, incriminant le Burkina pour son implication dans aux côté de la rébellion[199], qui aurait suscité ce changement de stratégie.
En fait, il semble qu’il soit antérieur.
Le ballon d’essai est à mettre à l’actif de Salif Diallo[200], qui fustige dans un discours public début novembre, l’intervention militaire française si importante pour seulement « 20 000 ressortissants ».
Puis Blaise Compaoré donne une interview au Figaro Magazine, le 16 novembre 2002, dans laquelle il accuse Laurent Gbagbo d’avoir été mal élu, de porter la responsabilité des événements, et en réponse aux accusations venues d’Abidjan, de vouloir déstabiliser la région après avoir déstabilisé son propre pays.
Le ton est donné, le camp présidentiel va dorénavant jouer la carte patriotique qui flatte la rue. Blaise Compaoré adopte, dans son discours de vœux à la nation du 31 décembre 2002, un ton offensif qu’on ne lui connaissait pas, et qui ravit ses concitoyens. Le propos est le même, il charge les autorités d’Abidjan de toutes responsabilités dans la crise et dans les exactions dont sont victimes les Burkinabè en Côte d’Ivoire. « Un changement de tactique bien à propos car le président du Faso a été tout de suite en phase avec l'opinion nationale » remarque-t-on alors dans la presse burkinabè[201].
Et puisque la formule semble fonctionner, les initiatives des autorités se multiplient à l’approche du sommet de Kléber où doivent être entérinés les accords de Marcoussis. Ainsi la télévision nationale programme, à deux reprises, le 19 et le 25 janvier, le film Côte d’Ivoire : la poudrière identitaire de Benoît Scheuer. La diffusion de ce documentaire tourné au lendemain des événements de Tabou, qui illustre les affres de l’ivoirité, était réclamée en vain par l’association le Tocsin depuis sa sortie[202]. Elle a un impact certain sur l’opinion publique, galvanisant encore la ferveur nationaliste. « On a poussé, on a chauffé le peuple à blanc, avec le film Côte d’Ivoire poudrière identitaire » dénonce Bénéwendé Sankara[203], un des ténor de l’opposition[204].
Dans le même esprit, le président burkinabè donne, le 21 janvier, au journal français Le Parisien, une interview qui fera date. Dans un entretien assez court, illustré d’un portrait où il apparaît en costume traditionnel[205], il s’en prend violemment à son homologue ivoirien, déclarant que « la seule solution, c’est que Gbagbo s’en aille », le vouant, à l’instar du président Milosevic, au Tribunal pénal international.
Dès le lendemain, le 22 janvier, apparaît un mouvement, le Rassemblement patriotique burkinabè, qui se veut spontané, et qui rassemble des « citoyens désireux de soutenir le président du Faso »[206]. Derrière ce nouveau mouvement, dont la vocation affichée est l’organisation de manifestations de soutien à Blaise Compaoré, se profile nettement le camp présidentiel. Les visages de ses leaders sont proches des autorités, employés par la radio télévision pour la plupart[207], ou carrément affiliés à la famille présidentielle[208]. Ils ont pour la plupart un passé politique ancien de militants actifs dans les CDR.
Ils vont d’ailleurs bénéficier dans l’organisation des manifestations 24 et 27 janvier, pendant lesquelles 1,5 millions de personnes[209] vont venir acclamer Blaise Compaoré à son départ et à son retour du sommet de Kléber[210], de l’appui des autorités.
Djibril Bassolet, le ministre de l’intérieur en personne leur accorde l’autorisation de manifester sur la voie publique[211]. Le CDP[212], mais aussi des soutiens affichés du régime[213], et même les services techniques de la présidence[214] mettent des moyens considérables à leur disposition. Côté couverture médiatique, leurs appels sont relayés par tous les supports, au delà de leurs émissions respectives. Ainsi, la station privé Radio Pulsar reconnaît avoir gracieusement diffusé les messages des patriotes invitant la population aux haies d’honneur, sans contester, « pour ne pas être taxé d’idéologie »[215]. Enfin il faut noter que des consignes non écrites auraient, au dire de plusieurs témoins, enjoint les responsables du secteur public à libérer leur personnel ou leurs élèves pour qu’ils se rendent aux manifestations, tandis que des entreprises privées auraient reçu une compensation pour le même service.
Par la suite, et pendant plus de deux mois, se succèdent dans tout le pays, des marches de soutien à Blaise Compaoré. Abondamment relayées par la télévision, elles ne sont pas le fait du RPB[216], mais des initiatives des élus locaux et des chefs traditionnels. L’Indépendant[217] évoque, à propos de ces mises en scène quotidiennes, le « patriotisme spectacle » qui s’est emparé du Burkina.
Dans l’opposition, on joue plus ou moins bien le jeu de l’union sacrée. Seule une partie minoritaire d’irrédentistes, incarnés notamment par le PDP-PS[218] et l’UNIR-MS[219], ainsi que des associations de la société civile traditionnellement opposées aux autorités, à l’instar de la CGT-B[220], du MDBHP[221] et de l’UIDH[222], se démarque du consensus national. Ils considèrent ainsi que si l’ivoirité est bel et bien le nœud du problème, l’implication militaire de Ouagadougou en est le détonateur et donc que les autorités burkinabè portent une responsabilité déterminante dans l’embrasement de la situation. Bénéwendé Sankara[223] évoque à ce propos dans la presse « les autorités de la Iv ème République [qui] ont toujours été des suspects sérieux là où on parle de crime »[224] . De même, pour le MDBHP, le régime de Laurent Gbagbo est légal, et il condamne donc la tentative de déstabilisation de septembre 2002. Cette position a valu à son président, le magistrat Halidou Ouédraogo, des menaces à peine voilées dans la presse proche de l’Etat[225].
Mais à mesure que l’offensive patriotique du camp présidentiel s’amplifie l’union sacrée se fissure ; l’opposition tente de s’organiser pour réagir. A plusieurs reprises les leaders des principaux partis rencontrent les représentants diplomatiques français, essaient de reprendre l’initiative en présentant des solutions de sortie crise, notamment en proposant d’élargir le cercle de la négociation ivoirienne à toute la communauté internationale[226] et d’intégrer des considérations économiques et sous-régionales aux discussions[227] ; des idées somme toute assez proches de la solution retenue par Paris dans le cadre Marcoussis.
En réaction à l’instrumentalisation de la fièvre nationaliste entreprise par les proches de Blaise Compaoré, treize partis de l’opposition parlementaire vont se regrouper autour du thème de la crise ivoirienne dans une nouvelle structure[228], la COB (Concentration de l’opposition burkinabè). Mais surtout, deux de ses leaders, Hermann Yaméogo de l’ADF-RDA[229] et Bénéwendé Sankara, se prononcent clairement contre les propos tenus par Blaise Compaoré dans l’interview parue le 21 janvier dans Le Parisien. Ils les jugent dangereux et susceptibles d’envenimer encore la situation en Côte d’Ivoire.
Mais là il s’avère que l’union sacrée, qui se lézardait au niveau de l’opposition, restait intacte dans l’opinion publique ; ils sont l’objet de toutes les attaques. « Le divorce est total entre l'opinion nationale et la Concertation de l'opposition (COB) » écrit L’Hebdomadaire du Burkina[230]. Effectivement, la presse, presque unanimement, se déchaîne, et les menaces fusent, notamment à l’occasion des manifestations de soutien des 24 et 27 janvier[231]. Et les menaces deviennent des actes lorsque le domicile de Yaméogo est incendié par la foule dans son fief même de Koudougou.
La crise ivoirienne, après avoir contraint l’opposition dans un second rôle quasi muet, la marginalise au regard de l’opinion publique qui ne tolère pas, dans sa ferveur patriotique, de voix dissonantes.
Le deuxième acte qui scelle la rupture entre le camp présidentiel et les auteurs de cette fronde, obérant largement les opportunités futures de l’opposition, se joue toujours autour de la crise ivoirienne. L’ADF-RDA, le parti de Hermann Yaméogo, et néanmoins premier parti de l’opposition par le nombre de sièges à l’Assemblée nationale, en sort divisé. Son leader est même contraint de quitter la formation et de fonder un nouveau parti[232]. Or les clivages qui ont été habilement attisés en sous main par les autorités[233] [234], tiennent à plusieurs points en relation directe avec la gestion de la crise ivoirienne. Hermann Yaméogo reproche ainsi à son numéro deux frondeur, Gilbert Ouédraogo, fils de Gérard Kango Ouédraogo figure historique du RDA, d’avoir participé aux manifestations de soutien au président Compaoré des 24 et 27 janvier, contre les consignes de son parti. De son côté, la faction Ouédraogo, fait grief à Hermann Yaméogo de sa visite, lors d’une tournée à l’étranger, au chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo.
En substance, la crise ivoirienne aboutit à une recomposition significative du paysage politique burkinabè dont les enjeux s’inscrivent nettement dans la perspective des échéances électorales de 2005.
Le régime de Blaise Compaoré souffre d’un déficit chronique de légitimité populaire. Son accession au pouvoir en 1987, reste entachée par l’acte fratricide originel qu’est l’assassinat de Thomas Sankara. La violence politique des années suivantes n’a guère contribué à améliorer cette lacune. Plus récemment, l’assassinat, par l’entourage de Blaise Compaoré, du journaliste Norbert Zongo[235] dont la liberté de ton était appréciée, a achevé de distendre les liens entre le chef de l’Etat et ses compatriotes.
Le régime de Blaise Compaoré pâtit également d’un manque d’initiative politique ; il semble toujours devoir subir les soubresauts de la rue ou de l’opposition, et ce particulièrement depuis l’affaire de Sapouy.
Les événements ivoiriens, sans que l’on cherche ici à établir dans quelle mesure le régime de Blaise Compaoré les a provoqués, tombent à point nommé, tandis que se profilent les élections présidentielles de 2005. Il faut dire qu’elles ne se présentent pas sous les meilleurs auspices. La révision de l’article 37 de la constitution de 1991, visant à autoriser un nombre illimité de mandats présidentiels, opérée en 1997 a achevé de le discréditer. Cette modification avait d’ailleurs du être reconsidérée suite aux troubles consécutifs à la mort de Norbert Zongo. Les autorités jouent depuis sur la rétroactivité de la loi pour affirmer que Blaise Compaoré peut encore prétendre briguer deux mandats[236], tandis que nombreux sont ceux qui estiment que la loi doit être la même pour tous[237] et que Compaoré qui a déjà accompli deux mandats ne devrait pas pouvoir se représenter.
De plus si c’est la troisième fois que Blaise Compaoré se présente devant les électeurs, c’est la première fois que la compétition est réellement disputée. Aux précédents scrutins de 1991 et 1998, l’opposition s’étant retirée, le chef de l’Etat n’avait eu à affronter que des faire-valoir.
Dès lors on comprend aisément que le camp présidentiel se soit employé à tirer tout le parti possible de la situation, forçant le trait autant que possible pour séduire le soudain patriotisme de l’opinion.
C’est d’ailleurs à cet excès de zèle patriotique que l’on attribue les propos provocants rapportés par Le Parisien.
Peut être s’agissait-il pour le président burkinabè d’arriver en force à Paris, en brandissant sa toute récente légitimité populaire, pour éviter les remontrances qui ne pouvaient pas manquer de s’abattre sur Blaise Compaoré et Charles Taylor, déstabilisateurs que tout désignait.
D’autres encore[238] émettent l’hypothèse plus machiavélique que la provocation visait sciemment à l’échec des discussions de Marcoussis, pour voir se prolonger encore ces troubles ivoiriens finalement si bénéfiques pour l’image intérieure du président Compaoré.
Enfin l’élan patriotique de l’opinion a offert une opportunité au camp présidentiel d’écarter, pour un temps au moins, le principal opposant sur le thème sensible des relations avec le voisin ivoirien.
Dans le camp adverse, ou du moins chez Hermann Yaméogo, l’éternel opposant, on peut également discerner des calculs présidentiels autour des événements ivoiriens. La montée perceptible de la nouvelle popularité de Blaise Compaoré ne pouvait laisser indifférents ses adversaires, qui risquaient d’être durablement débordés dès les prémices de la course aux élections de 2005. Mais aussi, concernant le chef de file de l’opposition, il s’agissait de se conforter dans son rôle de challenger malgré la concurrence d’autres présidentiables. Ainsi, le collectif[239], et son président Halidou Ouédraogo, qui reste mobilisé sur des problèmes intérieurs burkinabè, et notamment sur la défense d’étudiants syndicalistes poursuivis pour de récents troubles sur le campus, risquait de contrarier les ambitions de leader de l’opposition d’Hermann Yaméogo. Aussi a-t-il tenté de se démarquer de cette embarrassante concurrence venue de la société civile, en donnant, à travers le débat sur la crise ivoirienne, une stature présidentielle à ses engagements. D’autant que s’il reste apparemment un adversaire préoccupant aux yeux du camp présidentiel, il doit faire preuve d’initiative dans la course à la présidence, car il a précédemment déçu les électeurs. Ainsi, en 1991 tandis que tout semblait devoir le porter à la magistrature suprême, à la tête d’une coalition de l’opposition qu’il avait lui même formée pour l’occasion[240], il s’était retiré in extremis de la compétition, après semble-t-il quelques tractations avec Blaise Compaoré[241].
D’autres, à leur niveau, se sont attachés à profiter des « effets d’aubaine »[242] induits par la crise ivoirienne. C’est notamment le cas des visages de l’éphémère mouvement patriotique RPB, qui ont pris du galon dans leur camp et ont renforcé leur notoriété déjà existante. Mais c’est surtout le cas pour l’association le Tocsin, précédemment évoquée, et pour son président l’universitaire Albert Ouédraogo. La crise ivoirienne offre une audience nouvelle à son discours, notamment dans les arcanes du pouvoir. Il est désormais régulièrement entendu sur les problèmes des Burkinabè de l’extérieur par l’Assemblé nationale, a participé au sommet de Kléber[243]. Une promotion soudaine qui n’a pas échappé au bimestriel La Lettre du Continent[244] qui note « depuis le début de la crise ivoirienne, le président du Tocsin, la principale association des "diaspo", qui rassemble des Burkinabè ayant vécu à l'extérieur ou ayant des parents travaillant dans les pays voisins, joue un rôle politique important au Faso ». Et s’il se défend d’être un proche du camp présidentiel[245], on lui prête dans la presse des ambitions ministérielles à peine dissimulées[246], exacerbées par l’actualité de ses préoccupations. Il s’est d’ailleurs fait épingler dans cette même presse pour son zèle empressé aux côtés du pouvoir, lors de la journée du pardon de 2003[247].
Compte tenu du nombre considérable de Burkinabè vivant en Côte d’Ivoire, directement menacés, sinon atteints, par les violences qui ont précédé et accompagné la crise ivoirienne, le spectre d’un retour massif de population était dans tous les esprits dès le 19 septembre 2002. Le problème se posait avec d’autant d’acuité que la situation de l’économie burkinabè qui avait souvent motivé leur départ vers le voisin du sud, ne s’était pas améliorée et risquait même de se détériorer avec l’interruption des échanges induite par le conflit.
Les autorités ont donc ravivé, avec l’appui des bailleurs de fonds, l’opération humanitaire en faveur des réfugiés contraints à quitter la Côte d’Ivoire déjà mise en place à l’époque de événements de Tabou, en 1999. Rééditée et étendue à la solidarité nationale en 2002, l’opération Bayiri répond aussi aux attentes de l’opinion publique burkinabè. Action colossale dans les chiffres mis en avant, elle semble plus modeste dans son contenu réel.
Pour l’opinion publique burkinabè, traumatisée par la chronique des terribles mésaventures de leurs compatriotes de Côte d’Ivoire, l’opération Bayiri est la seule initiative du gouvernement de Ouagadougou, jugé trop attentiste dans les premiers temps de la crise ivoirienne. Pour la communauté internationale et les partenaires traditionnels du Burkina, elle semble indispensable eu égard aux inquiétudes que suscite le sort des émigrés Burkinabè. Les bailleurs de fonds installés dans la capitale burkinabè, se réunissent d’ailleurs sans attendre d’être sollicités pour envisager la conjoncture.
Les autorités burkinabè vont donc mettre sur pied une opération humanitaire à la mesure de la situation. Pour contenter l’opinion, l’opération Bayiri est largement médiatisée dans un grand show décliné tous les jours à la télévision nationale et dans la presse. On appelle à la générosité de la population et des acteurs de la vie économique, et on égraine quotidiennement sur les ondes le nom des généreux donateurs[248]. Et malgré le fait que l’opération ait mis près de deux mois à démarrer, l’opinion semble rassérénée.
A l’inverse, le gouvernement va s’employer, avec les bailleurs de fonds, à noircir nettement le tableau. Il entend démontrer que le Burkina est, ou va être, confronté à de grandes difficultés sociales et économiques du fait du rapatriement de très nombreux ressortissants établis jusqu’alors en Côte d’Ivoire. Ainsi le ton et les propos employés dans les écrits destinés aux partenaires économiques du pays sont sans équivoque sur ce point. Le ministère des Finances évoque par exemple, dans un rapport[249] destiné entre autres à l’ambassadeur de France, les « conséquences non encore jugulées du drame de Tabou de 1999 qui s’est soldé par un retour de quelques 300 000 de nos ressortissants ». Or on estime en réalité que ce sont 15 000 à 18 000 personnes qui ont du fuir la sous préfecture de Tabou en 1999[250]. Certes le solde migratoire est globalement négatif, mais l’estimation semble largement exagérée. Dans ce même document, les autorités burkinabè établissent à 125 000 le nombre de retours immédiats et à 5.18 milliards de francs CFA l’aide d’urgence que cela nécessite[251].
Plus tard, le premier ministre Ernest Yonli explique dans une interview donnée à Jeune Afrique[252] qu’il faut au Burkina quelques 8 milliards de francs CFA par tranche de 125 000 réfugiés reçus[253], pour « l’accueil, la vaccination et les frais de transport ». Il précise que le cap des 100 000 réfugiés étant franchi, les financements sont quasiment bouclés avec 90% pris en charge par les bailleurs de fonds internationaux. Enfin, il appuie sur le système de tranche, expliquant que « pour 250 000 retours, la somme montait à 16 milliards et, mécaniquement, à 32 milliards si 500 000 Burkinabè devaient revenir ».
Dans la même veine, et pour stimuler encore la générosité des partenaires économiques de son pays, le ministre des droits humains, Mme Monique Ilboudo a martelé à Genève, devant la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, que « l’insertion sociale de ces exilés, qui n’en ont pas le statut, pose un véritable problème humanitaire qui annihile nos efforts de lutte contre la pauvreté ».
Plus récemment encore, en juillet 2003, les services du ministère de l’action sociale et de la solidarité prévoyaient les besoins à venir pour l’accueil et la réinsertion socio-économique des rapatriés pour la fin de l’année 2003 et les années 2004 et 2005, à 17,1 milliards de francs CFA, dont près de 10 milliards étaient déjà acquis.
L’organisation de Bayiri, malgré la débauche de moyens, reste des plus chaotique. Les candidats au départ doivent se faire connaître auprès des autorités diplomatiques à Abidjan, et attendre un hypothétique convoi. Car dès le deuxième départ, le 14 novembre 2002, les acheminements sont interrompus. Officiellement, pour améliorer l’organisation du transport de fret. En réalité les rapatriés n’ont jamais reçu leurs bagages supposés les suivre et qui ont manifestement été détournés à un niveau quelconque de la chaîne. De fait la piètre opinion qu’ont les Burkinabè de Côte d’Ivoire de leurs diplomates est renforcée à l’occasion de Bayiri.
Le racket, opéré dans les convois de Bayiri par les agents de l’Etat burkinabè sensés les escorter et par les transporteurs indélicats, convainc très vite les réfugiés à préférer le retour par leurs propres moyens.
De plus, des affaires, concernant notamment l’attribution du marché des transports à un entrepreneur proche des autorités[254], dont les capacités de répondre au supposé afflux de réfugiés et les prix n’étaient pas les plus adaptés, éclaire la philosophie moins altruiste qu’affichée de Bayiri.
De même on peut s’interroger sur la sincérité du discours humanitaire des autorités tandis qu’elles font détruire le village de Nimpouy[255]. Cette bourgade située à soixante-dix kilomètres à l’ouest de Ouagadougou, regroupait des réfugiés qui n’avaient pas trouvé d’autre point de chute. Officiellement les procédures administratives d’urbanisme n’avaient pas été respectées ; comme dans tous les autres villages du pays. Certains pensent plutôt que c’est la volonté de ne pas voir regroupés trop de réfugiés entre eux, susceptibles de fonder un pôle de contestation, qui aurait motivé ce déguerpissement[256].
Et la solidarité proclamée trouve elle aussi assez vite ses limites ; l’accueil des compatriotes ne s’accompagne pas d’une chaleureuse hospitalité. L’opération Bayiri s’attache à les renvoyer dans leur village dans les 72 heures. Selon les instructions données par le ministère de l’action sociale à ses agents qui gèrent l’opération[257], aucun Burkinabè de l’extérieur ne doit rester à Ouagadougou[258]. De fait une fois rendus dans leur village, loin des centres où ils pourraient obtenir de l’aide, ils sont confié de facto à la solidarité de leur famille.
Un lapsus officiel, celui entre rapatrié et réfugié est symptomatique de la dérive existante entre les objectifs annoncés de Bayiri et la pratique. Pour les autorités burkinabè, le terme consacré pour parler de leurs compatriotes de retour de Côte d’Ivoire est « rapatrié » ; ce qui signifie « qu’on a fait rentrer dans son pays », et suppose donc l’idée qu’il s’agit d’individus ramenés au Burkina par l’opération Bayiri. En réalité, au 1er juin 2003, il n’y avait que 7172 rapatriés de l’opération Bayiri, parmi les 319 000 personnes comptabilisées à leur entrée sur le territoire. Et c’est bien ces dernières personnes qui ont bénéficié des prestations certes sommaires[259] dispensées par le ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale, et ses organismes (CONASUR[260] et COPROSUR[261]) qui participent sur le terrain à l’accueil des rapatriés. Des témoignages concordants[262] [263] semblent indiquer que les réfugiés (qui sont revenus par le propres moyens) et qui représentent tout de même plus 99,5 % des effectifs de ce grand retour, n’ont perçu aucune aide que ce soit. Le fait que les organismes sociaux n’aient eu recours à aucun personnel supplémentaire depuis le début de l’opération[264] abonde en ce sens ; l’accueil des centaines de milliers de rapatriés évoqués n’auraient pu se faire avec la poignée de fonctionnaires que compte d’ordinaire ces services.
Et ces réfugies disent n’avoir vu les autorités, en la personnes de gendarmes montés en hâte dans les cars, que pour être comptés à leur entrée dans le pays.
De fait si le comptage des entrants est très scrupuleusement effectué par les agents de l’Etat, ce n’est pas le cas de celui des sortants. De la sorte, un commerçant interrogé, dit avoir été enregistré cinq fois comme rapatrié lors de ses voyages d’affaires ses derniers mois. Ainsi les gendarmes et policiers ont bien enregistré les familles qui revenaient, mais jamais le père qui repartait après avoir mis les siens en sécurité. Ce qui semble pourtant avoir été un choix courant pour de nombreux Burkinabè de Côte d’Ivoire.
Le système d’aide financière montant « mécaniquement » par tranche, exposé par le premier ministre , éclaire sous un autre jour cette anomalie comptable.
L’aide réclamée au titre des rapatriés en général, ne va pas aux réfugiés. Si on se livre à un rapide calcul concernant les prestations offertes aux réfugies qui ne doivent pas excéder 50 000 francs CFA[265], rapportées aux rares bénéficiaires, 7172 en l’occurrence, on n’a guère engagé que 358 millions sur 8 milliards. Le lapsus entre rapatriés et réfugiés est fructueux.
De missions en expertises, les bailleurs de fonds ont fini par obtenir une vision un peu plus réaliste de la situation économique et sociale du Burkina dans la crise ivoirienne. Aussi, après une mission conjointe de la Banque Mondiale et du FMI en février 2003, il a été mis un bémol aux sollicitations « par tranche » du gouvernement burkinabè. Cependant, la grande expérience de ce dernier en matière de mobilisation de financements lui permet de trouver apparemment sans peine les fonds pour continuer un plan opérationnel de réinsertion socio-économique dans les trois prochaines années. La question est de savoir au profit de qui, sachant que les projets de réinsertion concernant les rapatriés de Tabou de 1999, gérés par les services de l’action sociale, n’ont toujours pas abouti de leur propre aveu[266].
S’il apparaît, un an après la déstabilisation de la Côte d’Ivoire, que le Burkina a échappé aux scénarios les plus sombres que pouvait laisser craindre la proximité entre les deux pays, la crise a tout de même eu des déclinaisons spectaculaires chez les « hommes intègres ». Elles s’inscrivent dans une historicité qui remonte loin en arrière, à travers l’époque coloniale, puis dans les rapports complexes entre les deux voisins devenus indépendants, et qui se poursuivra à n’en point douter encore longtemps dans l’avenir, et notamment autour de l’épineuse question des diaspos. L’intégration des diaspos est vraisemblablement la manifestation de la crise ivoirienne au Burkina appelée à perdurer le plus longtemps.
Ces épiphénomènes burkinabè de la crise ivoirienne sont spectaculaires, mais somme toute conformes, sinon emblématiques, de pratiques courantes dans ce pays.
La gestion de l’opération Bayiri, mêlant sentiments et financements, relève d’une stratégie de captation des rentes de l’extraversion, telle que la défint Jean-François Bayart[267]. Stratégie que nombre de nos interlocuteurs s’accordent à trouver répandue dans ce pays dont le budget provient pour moitié de l’aide extérieure ; elle ne semble d’ailleurs surprendre aucun de nos témoins burkinabè.
Au dire de bailleurs de fonds, ces pratiques pourraient être relevées dans bien d’autres domaines où interviennent des moyens publics ou privés. Pour le reste, on augure d’ores et déjà de fructueuses opérations autour des négociations sur la compensation des subventions agricoles, accordées par les occidentaux à leur producteurs de coton. Négociations dans lesquelles le Burkina s’est investi, jouant ici aussi de la corde sensible, non plus sur les rapatriés, mais sur la fragilité de l’agriculture des pays pauvres.
Quant à l’opportunisme politique dont a fait preuve le camp présidentiel, il surprend surtout par la forme. Blaise Compaoré avait toujours joué la discrétion et le mutisme ; il est singulier de le voir prendre publiquement des positions ; devant les Burkinabé, mais aussi sur la scène internationale. Sur le fond les méthodes restent sensiblement les mêmes ; on fragilise les partis qui peuvent émerger et concurrencer le CDP, en les infiltrant ou en cooptant quelques éléments décisifs. C’est arrivé il y a peu au PDP-PS, encore plus récemment ça a coûté son parti à Hermann Yaméogo, et on chuchote que ça pourrait bien se renouveler au détriment de Bénéwendé Sankara, qui est à son tour dans le collimateur des autorités.
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M.A, historien, juillet 2003
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M. C, dirigeant du ministère burkinabè des finances et du budget, juillet 2003
M. C, dirigeant du ministère burkinabè des finances et du budget, février 2003
M. D, diaspo intégré travaillant pour une société canadienne, juillet 2003
M. E, un des dirigeants du CONASUR (Comité national Comité national de secours d'urgence et de réhabilitation), juillet 2003
Kam Said Fatogoma, leader du RPB mouvement de patriotes burkinabè, février 2003
M. G, magistrat, février 2003
M. G, magistrat, juillet 2003
Mme H, femme au foyer d’Abidjan, réfugiée à Ouagadougou, février 2003
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M. K, étudiant diaspo, juillet 2003
M. L, étudiant diaspo, juillet 2003
M. M, président d’une association de diaspos, février 2003
M. M, président d’une association de diaspos, juillet 2003
M. N, étudiant diaspo, juillet 2003
Mme P, assistante sociale, direction de l’action sociale d’une province, février 2003
Bénéwendé Sankara, président de l’UNIR-MS (Union pour la renaissance - mouvement sankariste), février 2003
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M. S, entrepreneur burkinabé à Man, réfugié à Ouagadougou, février 2003
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M. T, directeur de la publication d’un journal d’information, février 2003
M. T, directeur de la publication d’un journal d’information, juillet 2003
Hermann Yaméogo, président de l’UNDD (union nationale pour la démocrate et le développement), juillet 2003
M. V, sociologue, juillet 2003
M. W, directeur d’une radio privée émettant en FM, février 2003
- Convention relative aux conditions d’engagement et d’emploi des travailleurs voltaïques en Côte d’Ivoire (1960)
[1] Le Recensement général de la population et de l'habitation (RGPH) réalisé entre 1998 et 2001 comptait officiellement 2.238.548 Burkinabè parmi les 15.366.672 habitants de Côte d’Ivoire, institut national de la statistique, Abidjan
[2] La liste exhaustive serait longue, voir les références citées dans la première partie
[3] 60 %
[4] 100 % du coton burkinabè emprunte la voie ivoirienne
[5] Selon l'Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) ce taux s’accroît ; il était de 45,3 % en 1998 et 44,5 % en 1994
[6] SOULE, B., « L’impact de la crise ivoirienne sur le commerce régionale », Politique Africaine, n°89, Paris, Karthala, 2003
[7] Liste des entretiens en page 93
[8] Désignait alors le pays Mossi
[9] Alors que Monteil
avait échoué par la voie négociée, la colonne Voulet-Chanoine
est
responsable des exactions commises au Mossi
[10] Chiffres officiels publiés à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931, cités par DELAVIGNETTE, R., Service africain, Gallimard, Paris, 1946
[11] Le salaire était alors de 5,25 francs par jour en Gold Coast contre seulement 1,50 francs en Côte d’Ivoire
[12] Illustrant une certaine divergence entre les visées officielles et les pratiques réelles de l’administration coloniale
[13] CONDE, J., Les migrations en Haute Volta, Banque Mondiale, 1978
[14] Rapport de la mission Sol
[15] « La suppression est moins due à la viabilité économique et financière du territoire qu’à sa qualité de main d’œuvre » peut-on lire dans le rapport Iter du 1er août 1939
[16] Burthe d’Annelet, 1939 cité par Skinner 1964
[17] Environ 50% du territoire initial
[18] Environ les deux tiers de la population de la colonie de Haute Volta
[19] AZAM J. P., « La dérive des finances publiques et l’instabilité politique au Burkina Faso », Centre de développement de l’OCDE, Paris, 1997
[20] La Côte d’Ivoire devenant Basse Côte d’Ivoire
[21] D’autant que les autorités britanniques ont pris des mesures protectionnistes à l’égard des ressortissants des colonies françaises pour parer aux effets de la crise des années trente
[22] La paierie de France de Ouagadougou est, en raison du fort nombre d’anciens combattants qui y perçoivent leur retraite, la plus importante d’Afrique subsaharienne.
[23] Le souverain Mossi d’alors
[24] Toutefois les revenus des travailleurs en Côte d’Ivoire restent presque inférieurs de moitié à ceux pratiqués en Gold Coast
[25] Les planteurs européens étaient avantagés, par rapports aux planteurs africains, par l’administration coloniale sur le recours à la main d’œuvre voltaïque du temps du travail forcé
[27] BLION, R., « Migrants internationaux et de retour au Burkina Faso, acteurs et témoins d’une circulation migratoire multiforme », Le Burkina entre révolution et démocratie, Paris, Karthala, 1996
[28] La culture extensive du cacao et du café nécessite une main d’œuvre agricole toujours plus abondante qui ne peut se trouver parmi la population ivoirienne
[29] Houphouët-Boigny entendait se prémunir par cette alliance contre le projet de fédération du Mali qui aurait restreint son emprise sur la sous région et aurait pu remettre en cause la migration des travailleurs voltaïques
[30] voir annexes
[31] Signée à Bobo-Dioulasso le 9 mars 1960, largement inspirée des dispositions en vigueur dans les colonies françaises, notamment du Code du travail Outre-Mer de 1952
[32] Il sera supprimé le 1er octobre 1984 par Thomas Sankara
[33] Notamment grâce à l’adoption par la Côte d’Ivoire des pratiques de métayage qui attiraient les Voltaïques en Gold Coast
[34] BANTENGA, M., W., « Emigration burkinabè en Côte d’Ivoire : approche historique », communication au forum de l’association le Tocsin, Ouagadougou, mars 2001
[35] Selon Coulibaly (COULIBALY, S., GREGORY, J., PICHE, V., Les migrations voltaïques, Ouagadougou, CVRS et INSD, 1978) des Voltaïques auraient été expulsés de Côte d’Ivoire en 1972 et à deux reprises en 1977. En réalité, il y en a eu régulièrement après le renversement de M. Yaméogo en 1966
[36] SAGNON, M., « L’état de la migration burkinabè », contribution au forum national sur les migrations, Ouagadougou, juin 2001
[37] Accords suspendus dès 1977
[38] LEJEAL, F., Le Burkina Faso, Karthal, Paris, 2002
[39] GREGORY, J., CORDELL, D. & PICHE, V., « La mobilisation de la main d’œuvre burkinabè, 1900-1974 : une vision rétrospective », Revue canadienne des études africaines, vol 23, n° 1, 1989
[40] COULIBALY, S., GREGORY, J., PICHE, V., Les migrations voltaïques, Ouagadougou, CVRS et INSD, 1978
[41]
SCHWARTZ, A., Ancey, G., Sous-peuplement et développement dans le
sud-ouest de la Côte d'Ivoire : cinq siècles d'histoire économique et sociale
ORSTOM, Paris , 1993, 490 p.
[42] SAGNON, M., « L’état de la migration burkinabè », contribution au forum national sur les migrations, Ouagadougou, juin 2001
[43] BOUTILLIER, J. L., QUESNEL, A., VAUGELADE, J., « Systèmes socio-économiques mossi et migrations » in Cahiers Orstom des sciences humaines, vol. XIV, n° 4, 1977, Paris
[44] Ram Christophe Sawadogo, du département de sociologie de l’université de Ouagadougou, travaille sur une évaluation des transferts en liquide à partir de la proportion de coupures d’origine ivoirienne, identifiées par la lettre estammpillant les livraisons de chaque banque centrale
[45] Entretien avec C, économiste au ministère de l’Economie et des finances, Ouagadougou, juillet 2003
[46] PODA, N., « Migration et développement au Burkina Faso », communication au forum national sur les migrations, Ouagadougou, juin 2001
[47] Chiffre qui était nécessairement plus élevé dans les périodes de migration massive vers la Côte d’Ivoire
[48] BOUTILLIER, J. L., QUESNEL, A., VAUGELADE, J., « Systèmes socio-économiques mossi et migrations » in Cahiers Orstom des sciences humaines, vol. XIV, n° 4, 1977, Paris
[49] A comparer avec l’espérance vie à la naissance aux époques de la migration massive, qui était de 32,4 ans en 1960 et de 48,5 ans en 1985
[50] SAVONNET-GUYOT, C., 1996, Etat et sociétés au Burkina Faso. Essai sur le politique africain, Paris, Karthala.
[51] COULIBALY, S., GREGORY, J., PICHE, V., Les migrations voltaïques, Ouagadougou CVRS et INSD, 1978
[52] Entretiens avec L et K étudiants issus de la diaspora burkinabè de Côte d’Ivoire, juillet 2003
[53] Rassemblement démocratique africain
[54] LAMIZANA, S., Sur la brèche trente ans durant, tome 2, Jaguar conseil, 1999, Paris
[55] Entretien juillet 2003
[56] Les chefs d’Etats des pays membres du Conseil de l’Entente ont pris l’habitude de s’inviter mutuellement à fêter leurs indépendances, créant en août une sorte de suite de festivité tournant de pays en pays.
[57] Des observateurs notent d’ailleurs que sa proximité avec Houphouët incite même Maurice Yaméogo à délaisser Ouagadougou pour Abidjan et à passer plus de temps en Côte d’Ivoire que dans son pays
[58] Houphouët mettra douze ans pour normaliser ses relations avec le président Lamizana en 1978 quand celui-ci devint le candidat du RDA à sa propre succession
[59] Entretien avec J, fonctionnaire international ivoirien, février 2003
[60] Un décret du 11 mars 1981 suspend l’émigration, un décret du 12 mars, le lendemain, instaure des laissez-passer
[61] Entretien avec I, conseiller de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Ouagadougou, juillet 2003
[62] 35 000 à 40 000 Voltaïques continuent de franchir la frontière, clandestinement, chaque année
[63] Sankara a notamment clamé, lotd d’un meeting du CNR en 1984 à Bobo Dioulasso, que « les frères ivoiriens et maliens ont eux aussi besoin de la révolution ». C’était un mot fort prononcé dans une ville proche de ces deux Etats
[64] FAURE, Y-A., « Ouaga et Abidjan : divorce à l’africaine ? », Politique Africaine, N°20, 1985, Paris
[65] Entretien avec A, professeur d’histoire à l’Université de Ouagadougou, juillet 2003
[66] Notamment comme chef de cabinet de Amadou KONE, ministre de la Santé dès le 30 janvier 1961
[67] SIMON, N., « Blaise Compaoré le survivant », Le Monde, 6 novembre 2002
[68] Une autre version de cette rencontre la situe sur le sol burkinabè, à Bobo Dioulasso où Chantal Terrasson serait venue en visite dans une branche de sa famille, les Vicens dont le patriarche est d’origine catalane
[69] Maurice Yaméogo, qui en 1964 avait épousé en secondes noces une métisse ivoirienne nommée Nathalie Monaco, connaîtra lui aussi des déboires de ce fait. Selon son fils Hermann, il fera à ce propos l’objet d’une campagne orchestrée par l’Eglise, campagne qui aurait largement contribuée à sa chute. Entretien avec Hermann Yaméogo, juillet 2003
[70] Elle possède une résidence à Abidjan, mise à sac après septembre 2002, où l’on aurait pillé 35 climatiseurs, ce qui donne une idée de la taille de ce pied-à-terre
[71] Entretien avec J, fonctionnaire international ivoirien, février 2003
[72] Ils ont gardé des liens d’amitié, et Philippe Ouédraogo a accueilli et hébergée récemment la fille Gbagbo venue faire ses études à Ouagadougou
[73] C’était en septembre 1982, Saye Zerbo était encore à la tête du Burkina
[74] Louis Dakoury Tabley, dans un entretien au Patriote, paru le 22 août 2002
[75] Front populaire ivoirien
[76] Le Patriote, N°917, du 22 août 2002
[77] Entretien avec A, historien, université de Ouagadougou, juillet 2003
[78] Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest
[79] Il semblerait qu’Alassane Ouattara ait demandé et obtenu une carte d’identité ivoirienne dès 1982
[80] Les adversaires ivoiriens de Ouattara soutiennent, au vu de l’acte d’un mariage contracté par l’intéressé en 1966 en Pennsylvanie, que sa mère est morte et que celle qui se présente comme telle aujourd’hui n’est qu’une seconde épouse de son père
[81] La carte de séjour a été instauré en 1991 à l’initiative de son gouvernement tandis qu’il était premier ministre
[82] Seules les autorités françaises avaient alors présenté leurs condoléances à Henri Konan Bédié, prenant dès lors fait et cause en faveur de ce dernier
[83] Entretien avec A
[84] Entretien avec I, conseiller à l’ambassade de Côte d’Ivoire au Burkina Faso, juillet 2003
[86] La commission mixte se réunit tous les deux ans, pour faire le point des relations entre les deux pays. Elle est constituée par les deux premiers ministres, tous les ministres, mais généralement les réunions ne déplacent que les responsables politiques et techniques concernés par les dossiers traités
[87] Elle s’est réunie pour la dernière fois en 1999, une nouvelle session serait envisagée pour 2004
[88] On prêtait alors à ce meneur de la société civile une stature de présidentiable
[89] Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples
[90] On pensait alors, comme on le croyait au FPI, qu’il marchait pour Ouattara, réglant par la force la lutte de succession qui l’opposait à Bédié
[91] D’autant que le Burkina est encore fort ému par les événements de Tabou survenus deux mois plus tôt
[92] Rassemblement des républicains
[93] ERO, C. & MARSHALL, A., « L’Ouest de la Côte d’Ivoire : un conflit libérien », Politique Africaine, n°89, Paris, Karhala, 2003
[94] BANEGAS, R. & OTAYEK, R., « Le Burkina Faso dans la crise ivoirienne », Politique Africaine, n°89, Paris, Karhala, 2003
[95] Entretien avec H. Yaméogo
[96] Communiqué de l’UNDD à l’AFP, le 2 septembre 2003
[97] YAMEOGO, M. « Sort de Taylor et de Kadhafi : l'UNDD denonce une logique d'absolution » L’Observateur Paalga, 20 août 2003, Ouagadougou.
[98] Association de défense des intérêts des autochtones de Côte d'Ivoire ; acronyme utilisé aujourd’hui par l'association des diabétiques de Côte d'Ivoire
[99] DOZON, J.-P., « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationalisme » da,ns Politique Africaine n°78, juin 2000, Karthala, Paris
[100] Paradoxalement cette annonce avait reçu un accueil hostile de la part des intellectuels burkinabè, selon Issiaka Mandé
[101] Sur le plan international, cela lui permet également de riposter à ceux qui accusent alors la Côte d’Ivoire de sacrifier par égoïsme l’unité africaine
[102] Processus d’ivoirisation dont Henri Konan Bédié revendiquait récemment la paternité dans un « appel aux militants du PDCI-RDA » le 2 avril 2002
[103] L’objectif fixé pour la période de 1981-1985 était de 2000 postes par an
[104] L’Etat prend en charge pendant six mois la moitié du salaire de tout Ivoirien recruté dans l’intention de remplacer un travailleur étranger
[105] RICCA, S., Migrations internationales en Afrique, aspects légaux et administratifs, Paris, L’Harmattan, 1990
[106] D’autant que l’ivoirisation va à l’encontre de la convention de 1960 signée entre les deux pays et qui évoque dans son article 9 le principe d’assimilation des migrants aux nationaux
[107] AMIN, S., Le développement du capitalisme en Côte d’Ivoire, Editions de Minuit, Paris, 1967
[108] Par l’intermédiaire de la CSSPPA (caisse de stabilisation des prix des produits agricoles) puis de la CAISTAB (caisse de stabilisation des prix des produits agricoles à l’exportation), structure chargée de la gestion de l’achat au paysans de la venter à l’exportation du café et du cacao
[109] ZANOU, B., « Vers une politique de population en Côte d’Ivoire » dans Maîtrise de la croissance démographique et développement en Afrique, Colloque et Séminaires ORSTOM, Paris 1994
[110] TALNAN, E., « Mutations sociales, crise économique et évolution du modèle de reproduction en Côte d’Ivoire », communication au 2ème atelier de l’UR Santé de la reproduction, fécondité et développement, IRD, Paris, 24-26 octobre 2001
[111] Non pas que la croissance démographique augmente, mais simplement parce qu’elle diminue moins vite que la croissance économique
[112] Dénoncées en 1982 par Alpha Blondy dans sa plus célèbre composition Brigadier Sabari
[113] Souvent appelé « conjoncture » dans le langage populaire
[114] Plan d’ajustement structurel
[115] Plan de réduction des traitements et salaires particulièrement impopulaire qui dure de février à avril 1990
[117] Paradoxalement le discours officiel jusque là était franchement pro nataliste, affirmant que la population ivoirienne était insuffisante, compte tenu de la superficie du pays
[118] MANDE, I., « Les migrants burkinabè en Côte d’Ivoire : une diaspora à l’épreuve des politiques nationales », 1998, SEDET, université Paris VII
[119] La carte de séjour pour les ressortissants de la CEDEAO coûtait 5.000 francs CFA pour une durée d'un an, elle devait passer à 15 000 francs CFA à partir de 1999
[120] Particulièrement pour les Burkinabè à qui on ne se privait pas de rappeler qu’ils devaient la carte de séjour à leur compatriote Alassane Ouattara. I. Mandé (MANDE, I., « Les émigrés burkinabé en Côte d’Ivoire dans la tourmente des recompositions identitaires en Afrique », 1998, Département de sociologie, université de Laval) évoque le sentiment de trahison ressenti par certains immigrés du fait que la mesure s’applique « à tout étranger sans prise en compte du contexte historique de sa résidence »
[121] Recensement général de la population et de l’habitat 1998
[122] BREDELOUP, S., « Les Sénégalais de Côte d'Ivoire face aux redéfinitions de l'ivoirité », dans Studi Emigrazione Etudes Migrations, Italie, Vol. 33, No 121, 1996
[123] Y compris à l’élection présidentielle de 1990 qui eu lieu un an seulement avant l’instauration de la carte de séjour
[124] Selon les observateurs la réélection en 1990 d’Houphouët-Boigny, au premier scrutin pluraliste de l’histoire de la Côte d’Ivoire, aurait été rendue possible par le vote des étrangers en général, et des Burkinabè en particulier, même si aucune étude ne l’atteste formellement
[125] La Voix, n° 776 du 25/04/94
[126] La Voix, n° 769 du 18/04/94
[127] Les statuts du RDR sont déposés au ministère de l’Intérieur le 27 juin 1994 et validés le 27 septembre de la même année, soit en pleine discussion sur le code électoral, ce qui peut expliquer le changement de stratégie de Konan Bédié
[128] « Nul ne peux être président de la République s’il n’est au moins âgé de 40 ans révolus et s’il n’est Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-même Ivoiriens de naissance »
[129] DOZON, J.P., « La Côte d’Ivoire entre nationalisme, démocratie et ethnonationalisme » dans Politique Africaine, n°79, Karthala, Paris, 2000
[130] CHAUVEAU, J.P., « La question foncière en Côte d’Ivoire et le coup d’Etat » dans Politique Africaine, n°78, Karthala, Paris, 2000
[131] CHAUVEAU, J.P., « Une lecture sociologique de la loi ivoirienne de 1998 sur le domaine foncier » (Document de Travail de l'Unité de Recherche 095, IRD, Montpellier, 2002
[132] 27 % des exploitations agricoles de Côte d’Ivoire appartiennent à des Burkinabè, chiffre de 1974 (Issiaka Mandé)
[133] ZONGO, M., « La diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire : trajectoire historique, recomposition des dynamiques migratoires et rapport avec le pays d’origine » dans Politique Africaine n° 90, Karthala, Paris, 2003
[134] SCHWARTZ, A., « Le conflit foncier entre Krou et Burkinabè de novembre 1999 : une lecture à la lumière de l’institution krouman » dans Afrique contemporaine, n° 193, 1er trimestre 2000 (pp.56-66).
[135] Dans la nuit du 24 décembre 1999
[136] Chiffre officiel communiqué par les autorités burkinabè et correspondant à la période septembre 2002 à juillet 2003
[137] COULIBALY, S., GREGORY, J., PICHE, V., Les migrations voltaïques, Ouagadougou CVRS et INSD, 1978
[138] Expulsions de Voltaïques du Ghana en 1970, de Côte d’Ivoire en 1972, puis à nouveau en octobre 1977, et du Gabon en septembre 1977
[139] On évoque souvent en la matière le cas de la première fortune du pays, celle de l’entrepreneur Oumarou Kanazoé, proche de Blaise Compaoré
[140] MANDE, I., « Les émigrés burkinabè en Côte d’Ivoire dans la tourmente des recompositions identitaires en Afrique », 1998, Département de sociologie, université de Laval
[141] Note pour M. le Ministre (de l’intérieur du Burkina Faso) au sujet du projet de Convention relative à la double nationalité, s.d., Archives du Ministère de l’Administration Territoriale, Ouagadougou, citée par I. Mandé
[142] Mais aussi l’arrivée au pouvoir des militaires auxquels Houphouët voue un mépris trop affiché
[143] Particulièrement les dispositions financières dont la Côte d’Ivoire ne s’est jamais acquittée
[144] Les résultats économiques sont très mitigés, peut être parce qu’on a, du fait même des enjeux migratoires, totalement sous estimé la part de mécanisation nécessaire ; au plan des flux migratoires, l’effet n’est pas non plus flagrant
[145] Les contrôles accrus aux frontières décidés par Ouagadougou, mais aussi l’ivoirisation des cadres tendent alors à infléchir les flux migratoires
[146] Communications disponibles dans : Ministère du Plan et de la Coopération (RHV), Séminaire de sensibilisation aux problèmes de migration, Bobo-Dioulasso, 3-8 mars 1980
[147] KOLLIN, N., Le Retour au village, Les classiques africains, Issy les Moulineaux, 1986
[148] Le Pays, n°2620, 30 avril – 1er mai 2002,
[149] Entretien du 24 février 2002
[150] Union pour la renaissance - mouvement sankariste, parti de l’opposition radicale
[151] Entretien avec M, juillet 2003
[152] Selon le Tocsin il y aurait autour de 3 à 4 millions de Burkinabè en Côte d’Ivoire, autour de 2 à 3 millions au Ghana, , 500 à 600 000 au Mali, et pas moins de 200 000 au Niger
[153] Entretien avec M, février 2003
[154] Une initiative de réinsertion lancée en 1984 permettait au migrants de retour au Burkina d’acquérir pour 80 000 francs CFA une parcelle destinée à la culture ou à la construction
[155] REMUAO (réseau sur les migrations et l’urbanisation en Afrique de l’Ouest), 1997, enquête sur les migrations et l’urbanisation au Burkina Faso (EMUBF), 1992-1993, rapport national descriptif, Bamako, CERPOD
[156] Département de sociologie, UFR de sciences humaines, université de Ouagadougou
[157] Malgré une faible disponibilité foncière, aucun incidents ou tension notable n’ont été rapportés
[158] MANDE, I., « Retour au pays, diaspora : dualisme identitaire ou émergence d’une catégorie ethnique : les ivoiro-burkinabè du Burkina » communication pour le colloque « Être étranger et migrant en Afrique au Xx ème siècle » organisé du 9 au 11 décembre 1999 par le SEDET, université Paris VII
[159] BANTENGA, M., « Le milieu universitaire de Ouagadougou : l’insertion des étudiants burkinabè venant de la Côte d’Ivoire », communication pour le colloque « Être étranger et migrant en Afrique au Xx ème siècle » organisé du 9 au 11 décembre 1999 par le SEDET, université Paris VII
[160] Et de l’université de Bobo-Dioulasso, et aussi de l’Ecole normale supérieure de Koudougou
[161] Entretien avec M, juillet 2003
[162] 18 % en 95-96, 19 % en 96-97 et 20 % ensuite des inscrits sont nés en Côte d’Ivoire, 71 % des inscrits sont nés au Burkina, le reste étant composé d’étudiants burkinabè nés ni au Burkina, ni en Côte d’Ivoire, et d’étudiants étrangers
[163] Burkinabè natifs de Côte d’Ivoire ou d’autres pays, et Burkinabè ayant vécu à l’étranger
[164] ZONGO, M., « La diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire : trajectoire historique, recomposition des dynamiques migratoires et rapport avec le pays d’origine » dans Politique Africaine n° 90, Karthala, Paris, 2003
[165] Au total 8835 étudiants pour l’année 1998-99
[166] Ironie du sort, quand on songe que les intellectuels burkinabè s’insurgeaient quelques années auparavant, estimant que la Côte d’Ivoire pillait les efforts du Burkina en matière d’éducation en attirant ses forces vives
[167] Contre 6 000 francs CFA pour les nationaux. Les frais de scolarité à l’université de Ouagadougou sont de 15 000 francs CFA, excepté pour les étrangers qui doivent débourser 250 000 francs CFA
[168] Avant l’ouverture de cette université, les autorités burkinabè inscrivaient les bacheliers, y compris ceux de Côte d’Ivoire, dans les universités de la sous région, à Dakar, Lomé ou même Abidjan
[169] En justifiant de leur nationalité burkinabè, les étudiants peuvent bénéficier d’une bourse, même si seuled 500 sont octroyées chaque année, ou percevoir presque systématiquement une allocation annuelle de 165 000 francs CFA au titre du FONER (Fond national pour l’éducation et la recherche)
[170] Né à Sogébé, dans la sous-préfecture de Grand Bérébi et arrivé à Ouagadougou pour l’année scolaire 1996-97 en classe de quatrième. Son petit frère a suivi le même chemin, quelques années plus tarde. Leurs parents vivent toujours en Côte d’Ivoire, dans la région de San Pédro.
[171] Né à Sakassou, non loin de Bouaké, est arrivé à Ouagadougou en classe de première en 2000, son père est resté travailler en Côte d’Ivoire
[172] Selon le recensement général de la population et de l’habitat de Côte d’Ivoire effectué en 1998
[173] Albert Ouédraogo, de l’association le Tocsin, constate que le niveau scolaire s’est tant dégradé dans les zones rurales de Côte d’Ivoire, que 80 % des jeunes paysans rencontrés parmi les réfugiés de 2002-2003, sont analphabètes
[174] Mahamadou Zongo explique d’ailleurs la bonne résistance des agriculteurs de la diaspora burkinabè à la crise économique, par la disponibilité de la main d’œuvre dans le cercle proche
[175] Les interlocuteurs parlent tous d’un sexe ratio inférieur à 1 fille pour 10 garçons, sans qu’une fois encore aucune étude ne vienne corroborer cette assertion
[176] Par contre les Burkinabè établis en milieu rural vivent en communauté mossi et utilisent donc le moré
[177] Pâte à base de farine de mil ou de maïs et d’eau rendue acide, dont la consistance varie selon les régions ; les Mossi la consomme molle
[178] Et le niveau de vie ivoirien qui autorise cette diversité alimentaire
[179] Les modes sulfureuses, comme la danse érotique mapouka, sont toujours diffusées au Burkina avec le label d’Abidjan comme gage de perversion
[180] Et même dès 1969 tandis qu’ils avaient été expulsés de Dakar
[181] Un des meneurs, activement recherché alors par les autorités de Lomé, était Norbert Zongo
[182] DIALLO, H., « Le rôle du mouvement étudiant dans l’évolution politique du Burkina Faso de 1960 à 1983 », Les jeunes en Afrique, T2, la politique de la ville, 1992, Pars, L’Harmattan
[183] Sans qu’il n’y ait là non plus le moindre chiffre disponible, les diaspos déjà insérés dans la vie active semblent eux aussi adhérer à cette vision des choses, soulignant qu’ils sont pour la plupart fonctionnaires ou employés par des multinationales
[184] Dans l’hypothèse où ils présentent une compétition loyale
[185] Mot utilisé pour parler de façon péjorative des natifs, vient du mot tenga, la terre en moré et les désigne comme gens du terroir, villageois
[186] Ce qui selon MM. Albert Ouédraogo et M. D, n’était pas le cas auparavant, tandis que les activités associatives des diaspos ne les soustrayaient pas à la vie sociale commune
[187] La désignation d’Albert Ouédraogo, figure emblématique des diaspos comme parrain de promotions universitaires ou scolaires par les étudiants, en est une illustration
[188] MANDE, I., « Les émigrés burkinabè en Côte d’Ivoire dans la tourmente des recompositions identitaires en Afrique », 1998, Département de sociologie, université de Laval
[189] Il n’y a que très peu d’étudiants ivoirien à l’université de Ouagadougou
[190] Il s’agit de Boureima Badini, ministre de la justice, garde des sceaux et de Monique Ilboudo, ministre de la promotion des droits humains
[191] Association récente, dont le dépôt de statut date de 2003, ses ambitions sont donc à confronter à son fonctionnement
[192] Les termes meurtre, charnier, spoliation et génocides reviennent à longueur de conversation et d’article
[193] L’Hebdomadaire du Burkina, N°192 du 22 au 28 novembre 2002
[194] Président de l’association le Tocsin
[195] L’Opinion, n°269 du 29/11 au 3/12/02, page 7, (journal proche de l’ADF-RDA)
[196] Hebdomadaire d’opinion fondé par Norbert Zongo dont la ligne éditoriale est très critique vis à vis du povoir
[197] Entretien avec G, juillet 2003
[198] La Lettre du continent, 27 novembre 2002
[199] Entretien avec T, directeur de publication d’un journal d’information, février 2003
[200] le n°2 du CDP et ministre d'Etat avait ouvertement critiqué la présence de l'armée française en Côte d'Ivoire au cours d'un discours prononcé devant le président Compaoré ainsi que devant le corps diplomatique
[201] L’Hebdomadaire du Burkina, N°201 du 31 Janvier au 07 Fevrier 2003
[202] L’Echo du Tocsin, n°1, janvier-février-mars 2002. Il faut noter que l’association utilisait ce film comme support de réflexion lors de réunions d’information
[203] Entretien du 24 février 2003
[204] Président de l’UNIR-MS (Union pour la renaissance - mouvement sankariste)
[205] Ce qui n’est pas si courant, et revêt donc ici une signification particulière
[206] Entretien avec Kam SaÏd Fatogoma, leader du RPB, février 2003
[207] Kam SaÏd Fatogoma et Ismaël Bayogo sont animateurs sur la radio Arc en ciel (station destinée au public jeune de la radio d’Etat), Mamadou Ghislain Ouattara est réalisateur indépendant travaillant pour la chaîne nationale, et Serge Baiga est animateur d’émission de variété à la télévision nationale
[208] Kader Cissé, ancien gérant de boite de nuit, est connu comme « garçon de course » de Chantal Compaoré
[209] Selon la police, tandis que la ville compte 1,5 millions d’habitants
[210] On expliquait le 27 janvier, qu’outre Sankara, seul le président Lamizana avait reçu un tel triomphe à son retour d’un sommet du Conseil de l’Entente le 9 juin 1966 ; épisode effectivement évoqué dans ses mémoires
[211] Et ils ont utilisé le RDP (Rassemblement démocratique populaire) de Nana Thibaut, un parti de la mouvance présidentielle, pour formaliser l’autorisation légale de manifester
[212] Fournit affiches, pancartes et portraits confectionnés pour l’occasion
[213] Particulièrement de Boutros, un libanais proche de la famille Salamé, grands commerçants détenant plusieurs licences de distribution au Burkina (Nestlé notamment)
[214] La présidence, en la personne de M. Gnampa a fourni un camion pour transporter le matériel de sonorisation
[215] Entretien avec W, directeur d’une radio privée émettant en FM, 20 février 2002. De fait le mouvement est silencieux depuis
[216] Entretien avec Kam SaÏd Fatogoma, leader du RPB, février 2003
[217] du 11 février 2003
[218] Parti pour la démocratie et le progrès - parti socialiste
[219] Union pour la renaissance - mouvement sankariste
[220] Confédération générale des travailleurs du Burkina
[221] Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples
[222] Union inter-africaine des droits de l'homme
[223] Président de l’UNIR-MS
[224] San Fina n° 187138, du 22/12/02, p5
[226] « Il faut une conférence internationale sur la Côte d'Ivoire », Le Pays, n°2733 du 11 octobre 2002
[227] « Crise ivoirienne : l’ADF-RDA met les pieds dans le plat », Le Pays,
[228] Qui a de nombreux précédents dans l’histoire politique récente du Burkina, de la CFD (Coalition des forces démocratiques) au Collectif contre l’impunité en passant par le Groupe du 14 février
[229]
Alliance pour
la démocratie et la
fédération/Rassemblement démocratique africain, divisé par des clivages
internes, a éclaté en juillet 2003
[230] n°201 du 31 Janvier au 07 février 2003
[231] « Interview de Blaise Compaoré dans le Parisien : la COB proteste contre les menaces » San Fina, n°193, 03 au 09 Février 2003
[232]
L’UNDD, Union nationale pour la démocratie
et le développement
[233] « Partis politiques burkinabè : grandes manœuvres pour déstabiliser l’ADF-RDA » L’Observateur, 6 février 2003
[234] Selon Hermann Yaméogo (entretien du 27 juillet 2003), les autorités auraient promis un poste ministériel à Gilbert Ouédraogo pour fomenter la scission dans son parti et le marginaliser
[235] Souvent désignée comme affaire de Sapouy, du nom de la petite localité où le journaliste et ses compagnons de voyage sont tombés dans une embuscade le 13 décembre 1998
[236] La dernière révision s’est accompagnée d’une modification de la durée du mandat présidentielle passant de sept à cinq ans
[237] « Elections présidentielles : Blaise Compaoré peut-il encore être candidat en 2005 ? », L’indépendant, 28 août 2003
[238] « L’opposition victime de l’instrumentalisation de la crise ivoirienne à des fins électoralistes », San Fina, n°192 du 27 au 02 Février 2003
[239] Collectif contre l’impunité
[240] La CFD (Coalition des forces démocratiques)
[241] L’idée généralement retenue sur cet épisode est qu’il a négocié son retrait contre la restitution des avoirs de son père, l’ancien président Maurice Yaméogo, saisis sous Sankara. Hermann Yaméogo explique quant à lui, que Blaise Compaoré, très déprimé à cette époque de transition démocratique, lui aurait promis de se retirer de la vie politique à l’issue de ce septennat, si on lui laissait ainsi légitimer son passage au pouvoir par un mandat régulier (entretien du 27 juillet 2003)
[242] BANEGAS, R., OTAYEk, R., « Le Burkina Faso dans la crise ivoirienne: effets d’aubaine et incertitudes politiques » dans Politique Africaine, n°89, Paris, Karthala, 2003
[243] Albert Ouédraogo précise qu’il était à Paris invité par la France (entretien du 18 juillet 2003)
[244] datée du 13 mars 2003
[245] Entretien avec Albert Ouédraogo, président de l’association le Tocsin, le 18 juillet 2003
[246] Entretien avec T, directeur de la publication d’un journal d’information, février 2003
[247] « Journée nationale de pardon : Quand le pouvoir provoque la famille Zongo », L’Indépendant, n°499, 1er avril 2003
[248] Le dérisoire des dons prête souvent à sourire, ainsi le syndicat national des employeurs des établissements privés d’enseignement libre du Burkina Faso (SYNEPEL) a offert en grande cérémonie 93 places pour des jeunes rapatriés, quand ils se compteraient par centaines de milliers
[249] « Premières évaluations des répercussions socio-économiques de la crise ivoirienne sur le Burkina Faso », Secrétariat permanent pour le suivi des politiques et programmes financiers, ministère des finances et du budget, Ouagadougou, 2003
[250] SCHWARTZ, A.,
[251] Soit 41 400 francs CFA par réfugié
[252] « Ernest Yonli : le Burkina a déjà enregistré 100 000 rapatriements », Jeune Afrique l’intelligent, n°2196 du 9 au 16 février 2003
[253] Soit 64 000 francs CFA par réfugié
[254] CTI (Central transport international), qui avait déjà mauvaise réputation
[255] Survenue le 27 mai 2002, le jour même où tous les regards était braqués sur le spectaculaire incendie du grand marché de Ouagadougou
[256] « Nimpouy: les raisons d'une destruction », L’Indépendant, n° 509 du 10 juin 2003
[257] Entretien avec E, un dirigeant du CONASUR, 24 juillet 2003
[258] R, un des cadres de l’action sociale pour la province de Kadiogo, indique qu’il n’est resté sur la capitale, et dans les locaux de son administration qu’une douzaine de personnes dont on ne retrouvait pas de famille (entretien février 2003)
[259] Octroi de kit humanitaire (une couverture par adulte, et une pour deux enfants, ’une natte par adulte, et une pour deux enfants, du savon, de l’eau), vaccination des enfants, et subsistance le temps du transit au site d’accueil sous forme de boite de sardines et de pain
[260] Comité national de secours d'urgence et de réhabilitation
[261] Comité provincial de secours d'urgence et de réhabilitation
[262] Entretien avec H, réfugiée en provenance d’Abidjan, du 18 février 2003 et entretien avec S, entrepreneur à Man (Côte d’Ivoire), réfugié à Ouagadougou, du 11 février 2003
[263] « La galère des rapatriés non bayirisés » : San Fina, n°211 du 09 au 15 Juin 2003
[264] Entretien avec P, assistante sociale, direction de l’action sociale province de Kadiogo, du 14 février 2003
[265] Le trajet Abidjan-Ouagadougou par la route n’excède pas 25 000 francs CFA et le reste des prestations, y compris l’aménagement très sommaire des sites de transit et le ré acheminement vers le village d’origine ne saurait excéder 25 000 francs CFA
[266] Entretien avec R, cadre de l’action sociale pour la province de Kadiogo
[267] BAYART, J-F., L’Etat en Afrique, Paris, Fayard, 1989